Philo'n netCONSCIENCE & INCONSCIENT

LA CONSCIENCE MORALE

 

Introduction :

Le terme de conscience est polysémique ; on peut explorer son champ sémantique selon le diagramme suivant :

 

A ‘

Présence au monde

Etre conscient

Perdre, ou reprendre conscience

 

 

A

Conscience au sens psychologique du terme

 

 

 

 

A’’

Connaissance de cet état de présence au monde

Etre ou prendre conscience de quelque chose.

 

 

 

CONSCIENCE

 

 

C

Sens mixte :

Conscience professionnelle,

En vôtre âme et conscience

Etre consciencieux

 

B

Conscience au sens moral

Faculté du jugement moral

Avoir la conscience tranquille, avoir bonne ou mauvaise conscience

 

 

 

On relève ainsi 4 acceptions possibles du terme, dont certaines se combinent entre elles :

-         Le sens psychologique du terme (A) désigne une particularité de l’intelligence humaine, par opposition à l’intelligence syncrétique des animaux. Ce premier sens se décline en deux sens subsidiaires :

o       A’ : qui indique simplement un état de présence du sujet au monde par opposition à d’autres états (sommeil, évanouissement), où le sujet est absent.

o       A’’ : qui marque la relation du sujet à ses objets : être conscient de quelque chose.

Dans les différents usages du sens A, le concept de conscience pourrait être remplacé par celui de connaissance.

-         Le sens moral (B) qui indique la faculté de juger du bien ou du mal, ou, plus largement de juger la valeur d’un choix.

-         Un sens mixte (C) qui participe des sens ci dessus :

o       Exemple : Juger en son âme et conscience, c’est être présent (attentif) aux débats du tribunal (A’), mais aussi connaître le dossier jugé (A’’) et  enfin user de son sens moral pour rendre un jugement équitable (B).

o       Exemple : la conscience professionnelle requiert à la fois attention (A’), la maîtrise des règles de l’art (A’’) et enfin le respect d’un code déontologique (B)

 

On pourrait y ajouter les différents termes antonymes de la famille « inconscient » (inconscient, subconscient, préconscient, etc…). Nous explorerons le champ sémantique de ce terme ci-dessous.

 

De cette analyse initiale du concept nous pouvons dégager une méthodologie d’approche du thème :

-         Dans un premier temps nous tenterons de répondre à la question « qu’est-ce qu’être conscient » en prenant le terme dans son sens A, le sens psychologique.

-         Puis nous demanderons s’il existe une forme de réalité psychique antérieure à la conscience, que l’on pourrait nommer l’inconscient

-         Ce détour par la réflexion sur l’inconscient parait nécessaire afin de poser de manière satisfaisante le problème de la conscience morale B.

 

 

 

 

 

Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Et nos amours

Faut-il qu’il m’en souvienne

La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

 

Les mains dans les mains restons face à face

Tandis que sous

Le pont de nos bras passe

Des éternel regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

 

L’amour s’en va comme cette eau courante

L’amour s’en va

Comme la vie est lente

Et comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

 

Passent les jours et passent les semaines

Ni temps passé

Ni les amours reviennent

Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

 

Guillaume Apollinaire (Librairie Gallimard)


Conscience, comme présence au monde

 

 

  1. Approche fonctionnelle du concept de conscience

 

1.1  – Un concept insaisissable

 

Qui dit esprit dit, avant tout, conscience. Mais qu'est-ce que la conscience ? Vous pensez bien que je ne vais pas définir une chose aussi concrète, aussi constamment présente à l'expé­rience de chacun de nous. Mais sans donner de la conscience une définition gui serait moins claire qu'elle, je puis la carac­tériser par son trait le plus apparent: (…)[1]

 

La difficulté que nous avons à cerner le concept de conscience vient de la grande familiarité dans laquelle nous sommes vis à vis d'elle : c'est le mode  le plus usuel de notre être et nous ne la percevons même pas comme une activité. Le concept de conscience partage ce sort avec d'autres concepts usuels de notre langue : vie, énergie, temps[2], que nous utilisons tous les jours avec la certitude d'une évidence de sens, mais que nous aurions du mal à définir si on nous le demandait.

Mais si nous ne pouvons, du moins dans un premier temps de cette réflexion, déterminer quel est l'être de la conscience, nous pouvons au moins la décrire dans ses modalités et ses effets.

 

La première approche pourrait être celle de l'étymologie : cum scire, le savoir qui accompagne. La conjonction "cum" (avec) indique un doublement de l'action, de la perception ou de la pensée par une connaissance de cette action, de cette perception ou de cette pensée. Je marche et je sais que je marche, je vois un arbre et je sais que je vois un arbre, je pense à la liberté et je sais que j'y pense. En bref l'idée de conscience renvoie à celle d'une distance établie entre le vécu  et la connaissance que nous avons de ce vécu.

 

1.2  - Courant de la conscience : la continuité et la recherche de l’unité de soi

 

 

                       

Je marche

 

                                                           Je vois un arbre

                                              

                                                                                                                      Je pense à la liberté 

 

Dans notre exemple nous avons pris le soin de prendre trois « moments» de conscience différents : différents parce que successifs, mais différents aussi par leur nature : une action, (je marche), une perception (je vois un arbre), une réflexion (je pense à la liberté). La seule continuité à travers ces différences est celle du sujet "je" : moi qui vois l'arbre, je sais que je suis le même qui tout à l'heure marchait et qui dans un instant va penser à la liberté. Nous en tirerons une seconde définition de la conscience comme faculté d'identifier au travers des expériences différentes le sujet de l'expérience comme étant le même.[3]

 

Enfin nous pouvons décrire la conscience comme continuité : Il est impossible "d'arrêter" une conscience pour l'examiner en acte. Car si nous tentons de saisir le lien entre deux moments de conscience, ce lien perd son statut d'état transitoire pour devenir  un état de conscience autonome. C'est pour cette raison que W. James[4] récuse la métaphore de la chaîne pour rendre compte de la conscience, lui préférant celle de la rivière. La chaîne a des maillons, c'est à dire qu'elle se décompose en unités distinctes. La rivière est, elle, caractérisée comme une poussée unique, un mouvement continu, ou mieux, une forme. C'est dire qu'on pourrait définir la conscience comme une identité formelle, et non comme une identité de contenus, à l'image de la rivière. Quand je contemple la Seine du pont Mirabeau, à 10 ans d'écart, je dis que c'est la même rivière, et non que c'est la même eau ; cette eau coule maintenant sous d'autres ponts, ou monte avec la marée à l'assaut d'un rivage, ou se solidifie en glace dans un glacier polaire. Ce n'est pas une identité de matière, mais c'est la forme de la rivière que je reconnais comme la même; tout comme je reconnais une identité formelle, une continuité entre toutes les expériences dont j'ai été spectateur, ou mieux, acteur.

La conscience vise donc à penser la vie psychique comme une unité. Cette activité n'apparaît pas au sujet ordinaire comme telle dans le cours ordinaire de la vie : nous ne l'apercevons en fait que lorsqu'elle est en défaut, lorsqu'il faut, par une activité volontaire, rétablir la continuité du courant de conscience, comme par exemple au réveil, ou lors d'oublis involontaires.

 

1.3  – La conscience et le temps : l’analyse bergsonienne.

Si la conscience a cette fonction de synthèse de notre vécu psychique, elle assure « en continu » le passage d’un temps à un autre temps : quand je vois un arbre je suis encore en prise sur l’action de marcher et j’anticipe déjà ma pensée de la liberté. De là associer intimement le temps et la subjectivité au point de les confondre, comme Merleau-Ponty ou de faire de la conscience notre mode privilégié de saisie du temps, comme Bergson il n’y a qu’un pas.

Conscience signifie d’abord mémoire

(…)Conscience signifie d'abord mémoire. La mémoire peut manquer d'ampleur; elle peut n'embrasser qu'une faible partie du passé; elle peut ne retenir que ce qui vient d'arriver; mais la mémoire est là, ou bien alors la conscience n'y est pas. Une conscience qui ne conserverait rien de son passé, qui s'oublierait sans cesse elle-même, périrait et renaîtrait à chaque instant comment définir autrement l'inconscience ? (…) Toute conscience est donc mémoire, —conservation et accumulation du passé dans le présent.[5]

 

Si la conscience est la faculté synthèse de notre vie psychique, il semble compréhensible qu'elle nécessite la mémoire. La pathologie peut nous être pour la compréhension de ce point d'une aide précieuse. Dans le cas de l'amnésie[6] liée à l'âge en particulier, on remarque que les malades ont perdu non seulement leurs souvenirs, mais la fonction même de mémoire qui leur permettait de conserver leur identité : ils ne savent plus qui ils sont, ou éventuellement sont en permanence à leur propres yeux un être nouveau. Pour poursuivre une action consciente jusqu'à son terme il faut, à l'évidence, se souvenir du projet qui l'a initiée. Dire une phrase, par exemple, suppose une faculté de se souvenir du début de notre propos. Ainsi la faculté de se souvenir ce que nous sommes devenus est essentielle à notre vie consciente.

 

 

Mais toute conscience est anticipation de l’avenir

Mais toute conscience est anticipation de l'avenir. Consi­dérez la direction de votre esprit à n'importe quel moment: vous trouverez qu'il s'occupe de ce qui est, mais en vue surtout de ce qui va être. d'attention est une attente, et il n'y a pas de conscience sans une certaine attention à la vie. L'avenir est là; il nous appelle, ou plutôt il nous tire à lui ; cette traction ininterrompue, qui nous fait avancer sur la route du temps, est cause aussi que nous agissons continuellement. Toute action est un empiétement sur l'avenir.

 

Mais il suffit de penser à notre identité personnelle pour constater qu'elle se définit tout autant comme projet que comme souvenir. Nos projets, notre futur nous déterminent tout autant que notre passé, comme le remarquait R. Aron. Et en reprenant l'exemple précédent, il est évident que notre faculté à énoncer une phrase jusqu'à son terme dépend de notre faculté d'anticiper ce terme. Marcher suppose une foi anticipative dans la continuité du monde : marcher, c'est croire.

 

Le présent comme « épaisseur de durée »

Il n'y aurait pas pour elle de présent, si le présent se réduisait à l'instant mathématique. Cet instant n'est que la limite, purement théorique, qui sépare le passé de l'avenir; il peut à la rigueur être conçu, il n'est jamais perçu. Ce que nous percevons en fait c'est une certaine épaisseur de durée qui se compose de deux parties: notre passé immédiat et notre avenir imminent. Sur ce passé nous sommes appuyés, sur cet avenir nous sommes penchés ; s'appuyer et se pencher ainsi est le propre d'un être conscient.

 

Si ces deux hypothèses sur la mémoire et l'anticipation sont avérées, cela pose d'une manière nouvelle la question du statut du présent de la conscience. Celui-ci ne pourrait se réduire, selon Bergson à la limite théorique entre le passé et l'avenir ('instant mathématique") que nous pouvons concevoir, mais non percevoir ; nous percevons dit-il "une certaine épaisseur de durée". La notion d'instant mathématique est à comprendre par référence à cet autre objet mathématique qu'est le point; dans l'espace. Celui-ci n'a lui non plus qu'une existence théorique, que nous pouvons concevoir, mais non percevoir. Il est défini, depuis Euclide comme "ce qui n'a point de parties" (de dimensions). Toute représentation du point, aussi infime soit-elle est une représentation fausse. ce point est en réalité une surface. Le point, à l'instar du présent, n'est donc qu'une conception, non une perception? J'aurais beau marquer dans le temps un événement bref, un claquement de mains par exemple, cet évènement aura toujours un début et une fin, et donc, une durée. Si je dis "aujourd'hui, nous sommes en cours de philosophie, un mardi de  novembre en l'an 2000, mon présent dure une heure,  un jour, un mois ou un an. Il pourrait même durer un siècle si je disais, "aujourd'hui, au XXIème siècle." L'épaisseur de durée dont parle Bergson, c'est l'expérience consciente, celle ci n'est jamais au présent de ce qui se vit, elle est toujours à la fois au passé qui vient d'arriver et au futur qui va venir. Notre présent est donc co-extensif à notre activité consciente.

 


La conscience fait donc exister le temps pour nous

Retenir ce qui n'est déjà plus, anticiper sur ce qui n'est pas encore, voilà donc la première fonction de la conscience.(…) Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait d'union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l'avenir.

 

Nous découvrons ainsi une troisième fonction de la conscience : c'est par elle que nous disposons autour de nous un "espace de durée" dans lequel nous pensons et agissons. L'homme n'est jamais, comme l'animal, prisonnier de l'instant où il vit : mais il existe dans un temps que sa pensée consciente dispose autour de lui.

 

  1. La conscience comme certitude

Nous sommes partis de cette étude de l'évidence de la conscience, que Bergson qualifiait de « familière et constamment présente à l'expérience de chacun d'entre nous.» Cependant il est important de dépasser cette évidence qui se fonde sur la seule habitude pour en faire une certitude rationnelle, la seule que nous portions en nous, la seule que nous sommes capables d'engendrer de nous-mêmes.

C'est le sens de la quête de Descartes dans le texte ci-dessous, extrait des Méditations métaphysiques : que puis-je trouver comme certitude, dans mon esprit empli de doutes et de connaissances incertaines, que puis-je trouver qui soit indubitable?

 

Archimède, pour tirer le globe terrestre de sa place et le transporter en un autre lieu, ne demandait rien qu’un point qui fût fixe et assuré. Ainsi j’aurai droit de concevoir de hautes espérances, si je suis assez heureux pour trouver seulement une chose qui soit certaine et indubitable.

Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente : je pense n’avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu’est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu’il n’y a rien au monde de certain.

Mais que sais-je s’il n’y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? N’y a-t-il point quelque Dieu ou quelque autre puissance qui me met en l’esprit ces pensées ? Cela n’est pas nécessaire ; car peut-être que je suis capable de les produire de moi-même. Moi donc à tout le moins ne suis-je point quelque chose ? Mais j’ai déjà nié que j’eusse aucun sens ni aucun corps. J’hésite néanmoins, car que s’ensuit-il de là ? Suis-je tellement dépendant du corps et des sens que je ne puisse être sans eux ? Mais je me suis persuadé qu'il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucun esprit : ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Bon certes ; j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis ; s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien  tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : je suis j’existe, est nécessairement vraie, toutes le fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit.

2.1  – Naissance de la modernité

Il importe de préciser le contexte de la méditation de Descartes; pour bien en saisir les enjeux.[7] Descartes est de ces hommes qui aux XVIe et XVIIe siècle vont mettre la science moderne au monde. Ils prétendent bâtir une connaissance qui se fonde, non sur les Ecritures ou l'autorité de la chose écrite (en particulier dans la philosophie d'Aristote) mais sur la raison humaine. Ils doivent donc apporter la preuve que notre esprit est capable, par ses seuls moyens de bâtir un savoir, des connaissances claires et distinctes. C'est pour cela que Descartes juge opportun de passer au crible du doute l'ensemble de ses connaissances, afin de d'examiner s'il en est une seule qui résiste à la critique.

 

2.2   - Genèse du cogito cartésien

Ce scepticisme rationnel se dote d'une méthode, de deux règles :

 

-         - Premièrement l'engagement à rejeter toute connaissance à propos de laquelle je peux concevoir le moindre doute, sans démontrer qu'elle est entièrement fausse. Si je ne puis l'établir comme une certitude absolue, le moindre doute que je puisse en avoir suffira à la faire rejeter.

-         - D’autre part, dans l'examen de mes connaissances, il ne sera pas nécessaire de les examiner toutes, mais seulement celles qui sont au fondement de toutes les autres.

 

Dans la première méditation, Descartes  cherche d'abord cette certitude dans la sensation : mais nos sens nous égarent parfois et ne peuvent donc être considérés comme certains ; dans le rêve, nous croyons percevoir avec autant de certitude qu'à l'état de veille, des sensations, des sentiments ; qui nous prouve que nous ne rêvons toujours.? Et d'autres encore, les fous s'imaginent être des princes quand ils sont misérables ; avons-nous la certitude de ne pas être plus fous qu'eux ? Devrions-nous renoncer ? N'y a t-il rien au monde de certain ? Mais après tout, en rêve ou en réalité, les couleurs et les formes sont les mêmes : n'est-ce pas là notre pierre de touche ? et dans le rêve ou la réalité les idées mathématiques ne sont elles pas également vraies ? N'est-ce pas sur leur évidence et sur la bonté du Dieu qui les a mises dans notre esprit que se fonde la vérité de nos connaissances ?

A ce point, Descartes fait intervenir un argument, un doute "hyperbolique" c'est à dire au delà même de tout ce qu'il est raisonnable de postuler. C'est le "malin  génie", ce Dieu farceur qui pourrait bien me faire prendre des vessies pour des lanternes, et me persuader que tout cela est vrai, quand ce serait faux !

C'est ici qu'opère dans la méditation un véritable renversement : le malin génie peut bien me tromper de toutes ses forces, il ne saurait faire que je ne sois rien tant que je penserai être quelque chose. Quoique je pense, même le faux, cette pensée est la preuve de mon existence. Je pense, donc je suis, dira Descartes dans le discours de la méthode, je suis j'existe est nécessairement vrai chaque fois que je le prononce ou le conçois en mon esprit dit-il ici : ceux formulations pour affirmer que la conscience est la seule certitude qui échappe au doute, et la seule qui n'exige pour être que nous apportions la preuve de l'existence du monde extérieur.

Dans la suite de cette méditation, Descartes établira que c'est la pensée qui constitue notre essence : je suis une chose qui pense ; et ce que nous connaissons du monde, même d'un objet simple comme un morceau de cire d'abeille, nous ne le connaissons que par l'entendement et non par la sensation ou l'imagination. Nous croyons voir, là où nous devrions dire que nous comprenons.

 

2.3  – limites du cogito : une certitude formelle

Pour aussi absolue qu’elle soit, la certitude du cogito n'en reste pas moins qu'une certitude formelle. A elle seule, elle ne peut restaurer la certitude que le monde existe. Descartes ne la prendra d'ailleurs pas comme la pierre sur laquelle il fondera la science ; celle-ci s'appuiera sur la bonté d'un Dieu dont la raison aura préalablement établi la preuve.

 

Une telle certitude reste vide, simple constat de notre présence au monde. Elle appelle un dépassement qui permette de penser la conscience dans son rapport à ses objets.

 

 

 

  1. Intentionnalité de la conscience

Le cogito appelle donc un dépassement. Le concept d’intentionnalité[8] permet de le réaliser :

 

La conscience et le monde sont donnés d’un même coup : extérieur par essence à la conscience, le monde est, par essence, relatif à elle. C’est que Husserl voit dans la conscience un fait irréductible qu’aucune image physique ne peut rendre. Sauf, peut-être l’image rapide et obscure de l’éclatement. Connaître, c’est « s’éclater vers », s’arracher à la moite intimité gastrique pour filer, là-bas, par delà soi, vers ce qui n’est pas soi, là-bas, près de l’arbre et cependant hors de lui, car il m’échappe et me repousse et je ne peux pas plus me perdre en lui qu’il ne se peut diluer en moi ; hors de lui, hors de moi. Est-ce que vous ne reconnaissez pas dans cette description vos exigences et vos pressentiments ? Vous saviez bien que l’autre n’était pas vous, que vous ne pouviez pas le faire entrer dans vos estomacs sombres et que la connaissance ne pouvait pas, sans malhonnêteté, se comparer à la possession. Du même coup, la conscience s’est purifiée, elle est clair comme un grand vent, il n’y a plus rien en elle, sauf un mouvement pour se fuir, un glissement hors de soi ; si,  par impossible, vous entriez « dans » une conscience, vous seriez saisi par un tourbillon et rejeté au dehors, près de l’arbre, en pleine poussière, car la conscience n’a pas de « dedans » ; elle n’est rien que le dehors d’elle-même et c’est cette fuite absolue, ce refus d’être substance qui la constituent comme une conscience. Imaginez à présent une suite liée d’éclatement qui nous arrachent à nous-mêmes, qui ne laissent même pas à un « nous-mêmes » le loisir de se former derrière eux, mais qui nous jettent au contraire au-delà d’eux, dans la poussière sèche du monde, sur la terre rude, parmi les choses ; Imaginez que nous sommes ainsi rejetés par  notre nature même dans un monde indifférent, hostile et rétif ; vous aurez saisi le sens profond de la découverte que Husserl exprime dans cette fameuse phrase : « toute conscience est conscience de quelque chose »… Que la conscience essaye de se reprendre, de coïncider enfin avec elle-même, tout au chaud, volets clos, elle s’anéantit. Cette nécessité pour la conscience d’exister comme conscience d’autre chose que soi, Husserl la nomme « intentionnalité ».

[…]

Nous voilà délivrés de Proust, délivrés en même temps de la « vie intérieure » : en, vain chercherions-nous, comme Amiel, comme une enfant qui s’embrasse l’épaule, les caresses, les dorlotements de notre intimité, puisque finalement tout est dehors, tout, jusqu’à nous-mêmes : dehors, dans le monde, parmi les autres. Ce n’est pas dans je ne sais quelle retraite que nous nous découvrirons : c’est sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes.

 

Jean-Paul Sartre, Situations (1947), Gallimard, p. 32.

 

3.1  - Monde en soi, monde pensé

La conscience et le monde sont donnés d’un même coup : extérieur par essence à la conscience, le monde est, par essence, relatif à elle.

Comment le monde peut-il être à la fois « extérieur par essence à la conscience » et « par essence relatif à elle » ? Il faut comprendre que dans le premier terme de cette citation le monde extérieur à la conscience est le monde en soi, alors que le monde relatif à elle est le monde pour nous.

Le monde en soi, c’est le monde tel qu’il est indépendamment de la perception que nous en avons. Nous devons bien reconnaître l’existence d’un tel monde, au-delà de ce que nous pouvons nous représenter. Nous n’accédons jamais à la connaissance de cet en-soi des choses. Notre savoir est toujours phénoménal[9], il n’est jamais qu’une représentation de l’objet.

Le monde pour nous ou monde pensé, pensé, ou monde de la représentation ; c’est le monde tel que nous le reconstruisons au travers de notre activité de connaissance, de notre langage, de nos œuvres d’art etc… Une telle représentation du monde est toujours partielle et provisoire. Elle n’épuise jamais la totalité de ce que nous pourrions connaître du monde ou d’un objet.

Ainsi on peut comprendre la citation de Sartre de la manière suivante. Si la conscience et le monde sont donnés d’un même coup, c’est qu’ils entretiennent un rapport de fondement réciproque : la conscience n’est, que si elle est en relation avec un monde (en soi), et le monde commence à exister, en tant que monde pensé[10] lorsque notre conscience se le représente.

 

3.2  Toute conscience est conscience de quelque chose

Cette citation du philosophe Ed. Husserl illustre le concept d’intentionnalité8. Elle exprime deux exigences de la conscience :

 

-         Il n’y a pas de conscience vide et toute conscience est nécessairement en relation à un « quelque chose » chose, idée, personne)

-         Ce « quelque chose » doit pouvoir être pensé comme différent de soi, c’est à dire comme un objet[11].

 

Ces deux exigences sont irréductibles, elles ne vont pas l’une sans l’autre. Les animaux sont bien en relation avec le monde, mais ils se confondent avec leurs objets : du chien qui ronge l’os, on pourrait aussi bien dire que l’os ronge le chien. L’animal n’est donc pas conscient.[12]

 

Connaître, c’est « s’éclater vers », s’arracher à la moite intimité gastrique pour filer, là-bas, par delà soi, vers ce qui n’est pas soi, là-bas, près de l’arbre et cependant hors de lui, car il m’échappe et me repousse et je ne peux pas plus me perdre en lui qu’il ne se peut diluer en moi ; hors de lui, hors de moi.

 

Où suis-je ? En moi-même, dans une citadelle intérieure d’où j’apercevrais les autres et le monde ? Ou ne suis-je pas plutôt comme le dit ici Sartre hors de moi-même, sans cependant que je me confonde avec ce qui n’est pas moi, avec les autres ou avec les choses ? C’est reconnaître l’altérité foncière de la conscience ; elle ne peut être qu’en tant que rapport avec quelque chose, ou quelqu’un, dont elle se distingue.

Même le souvenir, en tant qu’acte conscient est une relation à l’altérité. Certes je me souviens de ce que j’ai vécu, mais je suis face à mes souvenirs dans la position du spectateur : je reconnais en eux ce qui n’est plus moi. Se souvenir, ce n’est pas revivre le passé, ou revivre au passé.

 

Pour mettre en évidence le caractère nécessaire de ces deux exigences, on peut aussi se référer à des états de conscience altérés qui sont toujours caractérisés par une incapacité à maintenir présente la distinction entre le sujet et l’objet de la connaissance.

-         Le rêve : Dans le rêve, comme dans la perception à l’état de veille, nous sommes bien en relation avec un monde de choses, qu’elles soient réelles ou fictives. Mais à l’inverse de la perception, le rêveur ne peut établir de distance critique entre ce qu’il hallucine et lui-même. Il est absorbé par ses images au point qu’il ne peut même pas en détourner le regard. Dans le pire cauchemar, notre seul salut est le réveil !

-         Le fanatisme : En relation soit avec une idée, soit avec un gourou, nous sommes incapables de les penser pour ce qu’ils sont : d’une part une opinion et d’autre part un homme. Nous ne pouvons créer de distance critique entre nous-même et ce avec quoi nous sommes en relation.

-         La pensée magique ou la superstition : Elles fonctionnent toutes deux sur l’illusion d’une continuité et d’une homogénéité entre l’esprit et la matière. La pensée magique est malhonnête, elle prétend confondre connaissance et possession. Le magicien agirait directement par son esprit sur les choses, et non pas par une habile manipulation ou un hasard heureux. Le superstitieux, quant à lui, pense que la matière,  fût-elle aussi éloignée que ne le sont les astres, agirait sur notre esprit et notre destinée.

(…) La connaissance ne [peut] pas, sans malhonnêteté, se comparer à la possession

-         La nostalgie, le remord : Celui qui en est affecté est prisonnier de son passé. Il ne peut le considérer pour ce qu’il est, c’est à dire mort. Il pense qu’il y est toujours et la conscience n’arrive pas se penser libre et séparée de lui.

-         La passion amoureuse : La structure de l’aliénation est ici plus complexe ; nous ne sommes pas à proprement parlé prisonnier de l’autre, mais de notre désir. Alceste[13] rêve une Célimène idéale, il n’aime pas la Célimène réelle qui n’est que l’écran de projection de son désir. Mais il est incapable de mettre ce désir à distance pour en apprécier la nature.

-         Le mirage des psychotropes : Enfin, la tentation est forte face à un monde indifférent, hostile et rétif  de nier la différence qui nous en sépare et qui , pourtant, est constitutive de notre être conscient. Si « être conscient » c’est être coupé, reconnaître que nous ne sommes pas l’autre et que nos désirs ne peuvent s’investir immédiatement dans le monde, si cette conscience n’est qu’une suite liée d’éclatement qui nous arrachent à nous-mêmes, (…) qui nous jettent (…) au-delà d’eux, dans la poussière sèche du monde, sur la terre rude, parmi les choses, comment ne pas être traversé par la tentation de contourner la difficulté en utilisant une drogue (alcool, drogues dites « douces » ou « dures ») qui nous donnera pendant un temps l’illusion d’être les maîtres de nous même, des autres et du monde ? Mais  qui ne voit que nous courons là un grand danger : celui de ne plus vouloir affronter les difficultés et les obstacles propres à notre condition d’hommes en les supprimant fictivement par un déni aussi vain qu’aliénant ? Qui ne voit le danger de voir notre esprit s’aliéner à la matière ?

 


3.3  -  « Cogito, cogitatum, cogitamus »

 

Ce n’est pas dans je ne sais quelle retraite que nous nous découvrirons : c’est sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes.

 

Mais comme le cogito demandait un dépassement dans le « cogitatum », nous devons à présent envisager un autre dépassement, celui du « cogitamus ». En d’autres termes, nous venons de voir que le « je pense » ne peut jamais être détaché de son objet. Au-delà, nous nous proposons d’exposer à présent, avec Sartre, que le « je pense » est aussi un « nous pensons ».

En disant « je », je dis aussi tous les autres. (Sartre)

 

Ce thème de l’importance d’autrui pour moi, nous le retrouverons dans le chapitre consacré à ce thème. Nous nous contenterons de relever ici que « je » est un mot, et que, par conséquent, il renvoie dans sa compréhension à une communauté d’hommes susceptibles de le comprendre, de lui donner un sens. Nous dirons plus loin que « on n’est pas « je » tout seul ». C’est  que la relation que nous avons à notre monde humain est essentielle à l’apparition et à la pérennité de notre moi.

 

Il nous suffira ici de constater que les crises de l’identité, les moments de fragilité du moi (adolescence, cessation de l’activité professionnelle par exemple) sont aussi des moments de la l’existence où le réseau de relations affectives, intellectuelles, sociales, qui portait notre existence subit un profond bouleversement.

 

 

COGITO

(je pense)

 
JE SUIS CONSCIENT

 

La conscience est la seule certitude que je porte en moi,

 

COGITATUM

(ce qui est pensé)

 

DE QUELQUE CHOSE

 

mais elle demande d’être en relation avec un objet pour être,

 

COGITAMUS

(nous pensons)

 

EN COMMUN AVEC D’AUTRES

 

et ne peut se penser comme conscience isolée : « je » pense renvoie nécessairement à un « nous » pensons).

 

 

(…)en, vain chercherions-nous, comme Amiel, comme une enfant qui s’embrasse l’épaule, les caresses, les dorlotements de notre intimité, puisque finalement tout est dehors, tout, jusqu’à nous-mêmes

Le mythe de Narcisse[14] exprime une exigence de notre condition : nous ne pouvons nous suffire à nous même et le repli sur soi est morbide, pour ne pas dire mortel. Avons-nous réellement le choix de l’autre ou de l’égocentrisme ?

Je crois que l’individualisme, c’est lui notre véritable mort ; car en réalité, ce qui disparaît à notre mort c’est précisément tout ce qui faisait cette individualité

R. Garaudy

Ce qui disparaît à notre mort, c’est effectivement tout ce qui faisait notre plaisir de vivre, tout ce qui se ramenait à la bulle individuelle de notre moi ; s’il subsiste quelque chose, c’est de l’ordre du sens ou de la valeur : tout ce en quoi nous avons cru,  tout ce que nous aurons contribué à créer en commun avec d’autres.


Conclusion :

 

Une certitude bien fragile

 

La conclusion que nous pouvons provisoirement dégager de cette étude, c’est que le moi est une entité fragile. Si nous admettons qu’il est dans les relations qui nous unissent au monde des choses et au monde des hommes, si les hommes sont fondamentalement des « êtres au monde », des « étants  qui aspirent à être » par une projection de soi dans ce qui n’est pas soi, nous mesurons combien nous sommes redevables à ce monde, et en particulier à notre monde humain, de notre propre existence. Peut être que les humains n’ont pas le choix : c’est autrui, ou le néant. Ce sont des thèmes que nous retrouverons lorsque nous poseront la question de la conscience morale et du statut d’autrui.

 

Le dedans et le dehors…

Cependant le texte de Sartre nous permet de poser une question de candide, ce qui est souvent le moyen de découvrir une complexité cachée là où nous ne voyions qu’un problème simple :

 

(…)la conscience n’a pas de « dedans » ; elle n’est rien que le dehors d’elle-même et c’est cette fuite absolue, ce refus d’être substance qui la constituent comme une conscience. Imaginez à présent une suite liée d’éclatement qui nous arrachent à nous-mêmes, qui ne laissent même pas à un « nous-mêmes » le loisir de se former derrière eux, mais qui nous jettent au contraire au-delà d’eux, dans la poussière sèche du monde, sur la terre rude, parmi les choses (…)

 

Le candide pourrait à juste titre s’étonner d’un « dehors » qui n’aurait pas de « dedans » autant postuler une maison, qui, à l’image de ce Palais des Vents, de Jaipur[15],  ne serait que la façade d’un rêve.

Car affirmer que la conscience n’est qu’un réseau d’intentionnalités, voir dans le sujet que l’expression d’un réseau de relation n’occulte pas la question de l’enracinement de la pensée consciente dans le corps.

Qu’y a-t-il derrière cette façade consciente ? Répondrons-nous à la manière cartésienne : le corps ? Mais qui peut nous expliquer comment ce corps, comment cette chose sensible peut se transformer en chose qui pense ?

Y a-t-il ou non place entre le corps et la conscience pour un autre mode d’être de l’activité psychique que nous pourrions appeler « l’inconscient » ? C’est ce qui va faire l’objet de notre prochaine interrogation.

M. Le Guen (11/2000)



[1] Bergson : « La conscience et la vie», (1911), in l’Energie spirituelle, P. U. F. (*)  

[2] C’est le problème que rencontre en particulier Saint-Augustin à propos du temps :

Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je  le sais : mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus. Les confessions, livre XI, Chap. 14-20, trad. J. Trabusco, Garnier.

[3] Cf. aussi le poème de Guillaume Apollinaire « le pont Mirabeau », cité en exergue de ce cours, p. 2

[4] W. James ; Précis de Psychologie (1890), Marcel Rivière, 1946, pp. 206-208 (*)

[5] Bergson, op. cité (*)

[6] cf. Olivier Sacks, L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, Editions du Seuil, pp. 43-56 : Lorsque je vis Jimmie pour la première fois, je lui suggérai de tenir un Journal qui l’inciterait à noter chaque jour ses expériences, ses sentiments, ses pensées souvenirs et réflexions.[…] Mais cela aussi échoua : il prit certes soigneusement des notes dans un cahier, mais ne parvint pas ensuite à reconnaître ses premiers écrits. Il reconnaissait sa propre écriture et son style, mais s’étonnait toujours d’avoir écrit quelque chose la veille. Il n’avait pas d’ « hier ». Ses écrits restaient, si j’ose dire, déconnectés et déconnectants, ne pouvant en aucun cas lui rendre le sens du temps ou de la continuité. […] Mais existait-il un fond, la profondeur d’un sentiment ou d’une pensée durable chez cet homme sans mémoire, ou en était-il réduit […] à une simple succession d’impressions et d’événements sans lien entre eux ?

Jimmie était à la fois conscient et inconscient de cette profonde perte survenue en lui-même, de cette perte de lui-même. (si un homme a perdu un œil ou une jambe, il sait qu’il a perdu un œil ou une jambe ; mais s’il a perdu le soi il s’est perdu lui-même, il ne peut le savoir, parce qu’il n’y a plus personne pour le savoir).

[7] Pour de plus amples développements sur ce point, veuillez vous référer au cours « Galiléo Galiléi, et la crise de la conscience occidentale »

[8] Intentionnalité : « Le mot d’intentionnalité ne signifie rien autre chose que cette particularité foncière et générale qu’a la conscience d’être conscience de quelque chose, de porter, en sa qualité de cogito, son cogitatum en elle-même» Husserl, Méditations cartésiennes, 1929, 2nd méditation, §24. 

 

[9] Phénoménal : J’emprunte à Kant ce concept de phénoménal. Kant distingue dans l’objet d’une connaissance le noumène que l’on peut assimiler à l’objet en soi, du phénomène qui est l’objet tel que nous nous le représentons dans notre sensibilité ou notre entendement.

[10] Cette restriction est importante : ce n’est pas, à l’évidence, le monde en soi qui commence à exister lorsqu’une conscience le perçoit, sinon ce serait postuler un solipsisme, position irrecevable et folle qui nous ferait prendre la place de Dieu, et qui n’est recevable qu’à titre de fiction littéraire ou poétique. (cf. en particulier la première des nouvelles de J.L. Borges Fictions, où l’auteur imagine un univers, la planète Tlön, dont la substance serait l’idée, et non pas la matière.)

[11] Objet : Etym. : ce qui est placé devant. Le concept d’objet se conçoit dans l’opposition au concept de sujet. Désigne ce qui est pensé, par opposition à l’acte de penser. Tout ce qui existe (choses, idée abstraites, personnes, etc...) est pour celui qui pense (sujet) un objet. Ne pas confondre avec « chose » Cf. aussi le glossaire.

[12] Cela ne signifie pas pour autant que l’animal ne soit pas intelligent, si nous faisons de ce dernier concept la capacité à résoudre des difficultés non prévues par l’instinct. Simplement son intelligence est syncrétique (cf. ci dessous) et sensible, alors que la nôtre est consciente, sensible et conceptuelle.

Syncrétique : Qualifie l'intelligence animale, par opposition à l'intelligence consciente. L'animal ne peut faire la différence entre ce qui est lui et ce qui n'est pas lui. Il ne se reconnaît pas comme sujet, face à ses objets : pour vous en souvenir.

[13] Molière, Le Misanthrope

[14] Narcisse est ce beau jeune homme qui, se mirant dans l’eau, tombe amoureux de son image ; voulant l’embrasser, il s’y noie.

[15] Jaipur, capitale du Rãjasthãn (Inde), célèbre pour son architecture baroque du XVIIIe siècle, dont le « Palais des Vents » immense façade rose aux  multiples fenêtres.