BAC 2001

Philosophie Série ES

Sujet   1                                            

 

 

1/ Analyse

De quelle vérité l’opinion est-elle capable ?

 

 

 

 

La manière dont est posée la question implique que l’opinion est capable d’une certaine vérité. Car sinon la question eût été : l’opinion est-elle capable de vérité ?

On distinguera dans le concept de vérité la vérité comme adéquation d’une pensée à son objet de la validité qui exprime l’accord de la pensée avec elle-même.

 

 

 

 

L’opinion (doxa) est une croyance, un préjugé, un savoir mal assuré et également un pseudo-savoir généralement présenté comme ennemi de la connaissance

 

 

 

 

Le terme de capable est pris ici dans le sens de capacité à, de pouvoir de

Tout en constatant que l’opinion s’oppose à la connaissance vraie ou valide, le sujet nous suggère donc que l’on peut envisager d’accorder une certaine créance à l’opinion.

2/ Reformulation

L’opinion s’oppose-t-elle radicalement à la connaissance vraie, n’est-elle qu’un pseudo-savoir, une illusion ou recèle-t-elle  une part de vérité que nous devrons déterminer ?

3/ Plan

1 – L’opinion pense mal, l’opinion ne pense pas elle traduit des besoins en connaissances (Bachelard)

1.1  – Platon : l’opinion comme pseudo savoir, véritable ignorance,  principal obstacle au progrès de la connaissance

- Opposition entre manque de connaissance et pseudo savoir : la véritable ignorance n’est pas de ne pas savoir, mais de croire que l’on sait (opinion)

- Le mythe de la caverne : la connaissance comme dépassement de l’apparence ; l’homme prisonnier de  « l’opinion du corps »    

- Les passions (opinion du corps) comme perversion du désir de connaissance : flatterie et science dans le Gorgias, la métaphore du confiseur et du médecin.

1.2  – Le doute cartésien comme recherche d’une certitude : doute rationnel contre l’opinion «Il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie, de me défaire de toutes les opinions que j’avais reçues jusques alors en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements, si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences.  »

1.3   – Galilée et l’histoire des sciences

-         Le renoncement à l’évidence sensible (Copernic)

-         L’obstacle épistémologique (Bachelard) Critique de l’attrait de l’imaginaire et du pittoresque dans la connaissance préscientifique

o       Expérience première

o       Substancialisation

o       Généralisations abusives

Conclusion partielle 1 : C’est contre l’opinion que s’est forgée la connaissance. L’acte fondateur des sciences c’est la dénonciation de l’opinion comme pseudo savoir.

2 – La part de vérité de l’illusion : l’apparence

2.1 – la dénonciation de l’opinion comme pseudo-science repose sur un fantasme selon lequel il y aurait une vérité absolue. Selon Brice Parrain, il n’y a pas plus de vérité absolue que de mensonge radical. L’opinion serait alors une manière de dire différente, mais non pas nécessairement fausse, et probablement empreinte de vérité.

2.2 – D’ailleurs d’un point de vue pragmatique, l’opinion, faute d’être vraie contient au moins une vérité sur le monde : le mouvement apparent du soleil, qui relève d’une opinion fausse, est néanmoins une vérité pour celui qui veut savoir l’heure, ou s’orienter dans l’espace.

2.3 – Analyse Hégélienne de l’apparence, comme moment essentiel de l’essence : toute essence pour être pour nous doit apparaître. La fausseté n’est donc pas du côté de l’art, qui n’est qu’apparence, mais du côté de celui qui croît que le monde réel se réduit à  notre point de vue utilitaire sur le monde.        

L’artiste et le technicien, le contemplateur et l’usager : critique bergsonienne de l’étroitesse de notre regard sur le monde.

Ceci nous fait voir où se trouve la fausseté de l’opinion : ce n’est pas en tant qu’elle est apparence, mais en tant qu’elle prétend valoir pour le réel

Conclusion partielle 2 : L’opinion n’est illusoire, ou chimérique, que lorsqu’elle prétend valoir pour le réel. Le préjugé, la superstition, le savoir faire ne sont des chimères que lorsqu’ils prétendent usurper le réel, en oubliant ce qu’ils sont que des représentations provisoires et relatives d’une vérité partielle.

3 – une opinion pour lutter contre l’opinion : éloge du paradoxe

            3.1 Qu’est ce qu’un paradoxe : Un paradoxe n’est pas une négation du réel ; il en est l’expression la moins fausse si l’on admet que notre représentation du réel relève toujours, d’une certaine manière de l’opinion (doxa). Il s’oppose donc à l’opinion, ce jugement sur le monde que nous croyons absolu, lors même qu’il témoigne de notre ignorance. Le paradoxe dénonce le mensonge de l’opinion en montrant qu’au-delà du monde rassurant des idées toutes faites, il est un monde plus inquiétant, mais aussi plus passionnant dans ce qu’il recèle d’inconnu et de surprise

Simplement il dénonce une imposture : celle de croire que notre regard habituel sur le monde exprime la vérité du monde ; pour cela il lui oppose une autre imposture qui n’est troublante que parce qu’elle pousse à l’absurde les lois qui régissent notre représentation habituelle des choses

 

Ainsi, le paradoxe n’est pas une chimère, comme le rêve ou l’hallucination, son mensonge est une dénonciation, un rire salutaire.

            3.2 La fonction du paradoxe : Le paradoxe, bien qu’il soit lui même une opinion, nous délivre de l’opinion. Il participe de cet « humour blanc », humour métaphysique dont parle Tournier dans Le vent Paraclet 

            3.3 Exemple :  le paradoxe dans l’art : Magritte, Delvaux, Duchamp et les autres, analyse de quelques exemples

Conclusion partielle 3 : L’opinion peut servir la critique de l’opinion. C’est la fonction du paradoxe, qui loin de rajouter de l’illusion à l’illusion, se sert  de nos représentations habituelles des choses pour les mettre en contradiction avec elles-mêmes.

Conclusion : L’opinion n’est donc pas une simple erreur de jugement, ou un pseudo-savoir. Elle contient aussi sa propre vérité, comme Platon l’avait ressenti lorsqu’il parlait, à la fin du Ménon d’opinion droite. Elle peut servir de vérité provisoire à une pratique qui ne s’est pas encore théorisée. Elle n’est chimérique que lorsqu’elle se prend au sérieux, mais à travers le paradoxe, elle possède cette vertu d’être elle-même sa propre dérision.

M. Le Guen 12-06-2001