BAC 2001

Philosophie Série ES

Sujet 2

1/ Analyse

Donner pour recevoir, est-ce le principe de tout échange ?

 

 

 

 

Le « pour » renvoie à une idée d’intention : dans le but de

L’idée est celle d’une réciprocité entre le don et ce que l’on reçoit.

(ne donne-t-on que dans le but, l’espoir, de recevoir)

 

 

 

 

Le principe : c’est à dire la maxime morale qui inspire l’échange, ou sa référence, voire son fondement.

Par opposition à la « règle » ou encore à la « réglementation » juridique ou technique

 

 

 

 

Le sujet étend le plus largement possible la portée de l’interrogation : les échanges ne sont pas envisagés ici dans la seule dimension économique, mais d’une manière universelle, quelle que soit la nature de cet échange : au sein de la matière, de la vie, dans la société.

Echanges humains, affectifs, intellectuels, moraux etc…

Reformulation du sujet

Les échanges, quelle que soit leur nature, sont-ils fondés sur une exigence de réciprocité mécaniste, de l’ordre du « donnant - donnant » ? Cette exigence relève-t-elle d’une simple règle du jeu, ou peut-elle être posée comme un principe moral ? D’autres valeurs, comme celle du don gratuit, ne peuvent-elles pas inspirer moralement les échanges ?

 

Plan

            1 – Comment se réalisent de manière générale les échanges, tant dans la nature que dans la société ? Supposent-ils la réciprocité ?

1.1   – Dans la nature, les échanges sont toujours réciproques : qu’il s’agisse de lois comme l’attraction universelle, ou d’échanges au seins d’un biotope donné, ou enfin d’interactions moléculaires dans un organisme vivant, partout l’échange semble reposer sur une réciprocité. (Jacob, Canguilhem)

1.2   – Dans la société, les échanges ne sont possibles que sur la base d’une semblable réciprocité :

1.2.1       exemple 1 : La monnaie, nécessité de trouver une mesure commune (Aristote)

1.2.2       exemple 2 : Les échanges économiques : construits sur le modèle mécanique des échanges naturels : les « vases communicants ».

1.2.3       exemple 3 : Le langage : conventions communes à ceux qui échangent (Saussure) ; l’intersubjectivité : réciprocité du dialogue (Merleau-Ponty).

1.3   – Mais peut-on parler de « principe moral », à propos de cette pratique de la réciprocité ? N’est-ce pas une simple nécessité de la nature, ou, au mieux, une règle pratique, une réglementation ?

Conclusion partielle 1 : La réciprocité règle bien les échanges dans la nature, et d’un point de vue pratique dans la société. Cependant elle n’en constitue pas pour autant un « principe » : elle est, au mieux, une nécessité pratique.

            2 – Attendre une réciprocité du don, n’est-ce pas ruiner par avance le projet de moraliser les échanges ?

2.1 - Certes, la réciprocité semble au fondement de toute action morale, car elle réalise l’exigence d’universalité du premier impératif catégorique de Kant.

2.2 - Ainsi le « contrat social », de Rousseau place-t-il la réciprocité au nombre des conditions à satisfaire pour réaliser l’équité des droits au sein de la société

2.3 - Mais à ne considérer dans autrui que l’attente d’une réponse, c’est aussi d’une certaine manière l’instituer comme moyen, et non comme fin de notre action(Kant). En quelque sorte, je me servirais d’autrui pour parvenir à mes fins. Si cela était, resterait-il une place pour une conception morale des relations humaines ?

exemple : L’amour humain : simple nécessité pour la reconnaissance de soi (Hegel, Sartre), ou intérêt véritable porté à autrui ? En d’autres termes, reconnaissons nous autrui parce que nous en attendons la même reconnaissance, ou aimons nous autrui comme notre frère, même s’il ne nous aime pas ?

Conclusion partielle 2 : Postuler la réciprocité comme seul fondement moral de l’échange, c’est s’interdire par avance de moraliser les échanges entre les hommes.

            3 – Les formes les plus élevées de l’échange ne supposent-elles pas d’abandonner cette recherche de la réciprocité au profit d’une culture du don ?

3.1 – Le dialogue vertueux : exemple du Gorgias (Platon) : les interlocuteurs devraient, dans l’échange, chercher non la victoire personnelle de leurs opinions sur celles des autres, mais une commune progression vers la vérité. Il s’agit moins de « donner pour recevoir » que de « donner pour construire »

3.2 – Exemple d’échange désintéressé : la construction de la cité des sciences, la publicité du savoir et le progrès des connaissances. (Galilée, dans «la vie de Galilée », de Brecht)

3.3 – Forme suprême du don gratuit : le pardon. La seule réciprocité attendue est la reconnaissance initiale de la faute, de la part de celui qui nous a fait injure. Mais pardonner à son ennemi, ce n’est attendre de lui aucune gratification ; j’ai  le désir d’obtenir réparation de l’injure, j’ai le pouvoir de punir, j’ai les moyens d’obtenir réparation, et cependant, je décide de pardonner. (Gandhi).

Conclusion partielle 3 : les formes les plus élevées de l’échange abandonnent le « donner pour recevoir ». Ici, on donne pour créer, on donne gratuitement à seule fin d’affirmer la moralité de notre humanité

Conclusion :

Donner pour recevoir est une loi de la nature régissant les échanges entre systèmes physiques ou vivants, ou c’est  au mieux qu’une règle pratique des échanges humains. Mais cela ne peut constituer un fondement moral de l’échange et être postulé comme principe : les formes les plus élevées de l’échange supposent une part de gratuité dans le don, où la réciprocité ne vient pas ternir l’intention de constituer le destinataire de ce don  en tant que fin de notre action.

M. Le Guen 11-06-2001