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Profiter de l’instant, est-ce la clé du bonheur ?[1]

 

Concepts :

« profiter » : relever les deux sens possibles :

-        sens faible : celui du « profiteur », de l’opportuniste, de celui qui s’empare d’une occasion de jouissance quand elle passe à sa portée Sens fort : Réaliser une expérience hédoniste de l’instant ; jouissance, approfondissement, sublimation du présent

« Clé du bonheur » : mode universel d’accès au bonheur ; se poser au moins la question de la possibilité d’une telle panacée.

 

Plan :

1/ « profiter » au sens faible :

Argument : Dans ce sens, profiter le l’instant n’est-ce pas se livrer pieds et poings liés aux événements ? Peut-on dans ce cas parler de bonheur ?

-        « L’homme charnel » (S. Kierkegaard : i. e. : celui qui vit et boit pour manger, et non l’inverse). L’exemple de l’opportuniste nous sera fourni par le personnage du narrateur dans le roman de Giono « Les grands chemins »

-        Cas extrême : l’anomique ou le suicidaire (l’artiste chez Giono) qui a renoncé à toute autre dimension du temps autre que celle du présent (de la loi de son désir), qui méconnaît et refuse la loi des hommes (se souvenir et projeter) et qui se condamne ainsi au malheur (abandon suicidaire)

 

Conclusion : Un tel refus à la fois d’assumer son passé et de prévoir son avenir nous ferme d’avance la « porte du bonheur » (en tous cas ne nous permet pas de donner un sens à notre vie)

 

2/ « profiter » au sens fort (jouir) :

Argument : Dans ce sens, le profit est plus d’ordre spirituel, il s’obtient par une expérience contemplative du présent : l’expérience hédoniste de Camus dans le premier essai de Noces

-        Caractériser cette expérience comme une démarche active (par opposition à la passivité de l’attitude précédente)

-        Montrer que ce n’est pas une pratique dans laquelle on sombre (retour de Camus dans la Cité des hommes après cette ataraxie). Elle illumine une vie entière

Conclusion : Le carpe diem (Horace) épicurien nous offre la possibilité d’une réconciliation de l’homme et du monde ; expérience du présent elle illumine l’ensemble d’une vie ;

 

3/  Mais au fond, de quel instant pouvons-nous « profiter » ?

Argument : Critique et conception bergsonienne de la notion de « présent » ; la condition humaine « d’être au monde »

-        Ce n’est sûrement pas le présent évènementiel, celui de l’instant mathématique que nous pouvons à la rigueur concevoir mais dans lequel nous ne vivons pas. (# « épaisseur de durée ») (Bergson)

-        En fait l’homme est à la fois dans ses souvenirs (son présent « porte en lui son passé) et dans ses projets

-        Penser la durée réelle (Bergson), la continuité  d’un changement universel, c’est réconcilier l’homme avec l’histoire du monde, condition du bonheur en tant qu’elle donne une réponse à la solitude ontologique de l’homme.

Conclusion : Nous ne vivons pas dans un strict présent : notre présent inclut à la fois notre passé et notre futur ; l’homme est l’être qui a la capacité d’inscrire sa durée individuelle dans l’histoire universelle.

 

Conclusion générale : La clé du bonheur n’est pas dans un accueil passif et opportuniste de l’instant qui passe, non plus que dans un repli pathologique sur soi, elle se trouve dans notre capacité à assumer notre condition d’homme : être capable de se penser dans la durée.

 



[1] Ce corrigé est celui d’une interrogation orale, dans le cadre des formations CPGE, programme 1998-99

auteurs et œuvres : La pensée et le mouvant (Bergson), Noces (Camus), Les Grands Chemins (Giono)