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Classes préparatoires scientifiques

Proposition de sujet corrigé

 

La bêtise n’est-elle qu’une question d’ignorance ?

 

1/ Analyse du sujet

Le sujet comporte une restriction « n’ ...que » : il indique donc d’emblée qu’on vous invite, non seulement à constater que la bêtise peut être ignorance, mais qu’elle peut aussi être autre chose.

 

Il faut se rappeler la distinction fondamentale que l’on a trouvée chez Platon entre l’ignorance comme manque de savoir et l’ignorance comme pseudo savoir. Si la reconnaissance de la première est pour Socrate le début du mouvement de la connaissance, la seconde est, elle, la pire des ignorances : celle qui nous empêche de progresser en nous enfermant dans une certitude.

 

Bêtise : Au sens propre du terme, qui relève de la bête. Jugement porté sur l’ignorance ou plutôt sur l’absence de jugement. On peut prendre le mot dans le sens d’un être dépourvu de toute connaissance (sens premier), ou d’un  être qui mésuse de la connaissance et qui, bien qu’accédant à une forme de connaissance, ne produit que du non sens, de l’absurde.

 

2/ Reformulation du sujet

Peut-on réduire la bêtise à l’absence de savoir ? N’est-elle que la marque d’un être stupide, privé de toute lumière, porte-t-elle en elle les moyens de son dépassement ? Ou encore n’est elle pas la marque d’un manque de discernement, d’une incapacité de juger ?

 

3/ Proposition de corrigé :

Introduction :

 

Flaubert, au chapitre 8 de Bouvard & Pécuchet (p. 298) dit à propos de ses personnages : « Alors une faculté pitoyable se développa dans leur esprit, celle de voir la bêtise, et de ne plus la tolérer». Etrange paradoxe : ainsi ceux dont il avait dit « la bêtise de mes deux bonshommes m’envahit » seraient tout de même capables d’un jugement critique par rapport à l’imbécillité. Peut-être ne seraient-ils pas alors aussi ignorants que nous le pensions ; mais  quels sont les liens entre la bêtise et l’ignorance ? La bêtise n’est elle qu’une question d’ignorance ? Peut-on réduire la bêtise à l’absence de savoir ?  N’est-elle que la marque d’un être stupide, privé de toute lumière, porte-t-elle en elle les moyens de son dépassement ? Ou encore n’est elle pas la marque d’un manque de discernement, d’une incapacité de juger ? Mais la bêtise n’a-t-elle pas son origine dans une volonté de nuire ?

Entrée en matière

 

 

 

 

 

 

 

Enoncé du sujet

Reformulation

 

 

Plan

 

 


Développement :

 

1 - La bêtise en tant que représentation d’un état de non-connaissance : la « stupidité des brutes» ; comment la connaissance peut naître de ce désert, de cette ignorance entendue comme absence de lumières.

Références : Etat de nature chez Rousseau, l’infans, Le jeune esclave du Ménon, Andréa,

 

On peut tout d’abord prendre la bêtise au sens propre, comme étant l’état d’un homme dont l’intelligence se limite à celle de la bête. Décrivant « l’état de nature », Rousseau parle de « stupidité des brutes », entendant par là un état dépourvu de lumières. Mais il dit aussi que l’homme possède déjà la perfectibilité, même si elle n’est en lui qu’à l’état de puissance. Nous serions tentés d’y voir une différence introduite par ce philosophe entre la « bête » et l’homme. Chez celui-ci, l’absence de connaissances n’est jamais que provisoire ; bien plus, la sortie de cette « stupidité » première serait liée à la prise de conscience de ce manque de connaissances

C’est en particulier ce que présente Platon dans l’épisode du « jeune esclave », dans le Ménon. Celui-ci est pris comme une cire vierge, exempte de la marque de tout savoir. Mais la condition de son progrès, c’est la reconnaissance première de son ignorance, ou de son erreur initiale de jugement, dans sa première réponse. Ainsi, le questionnement de Socrate aidant,  le jeune esclave trouve en lui les moyens de développer ses connaissances et même d’arriver à résoudre seul un problème mathématique relativement complexe, la duplication de l’aire d’un carré.

De même, dans l’éducation d’Andréa : là aussi le savoir déjà constitué se ramène à peu de chose, et après la reconnaissance des insuffisances de la connaissance sensible (je vois le soleil tourner), l’élève peu progresser.

Ainsi, si nous voyons dans la bêtise l’état initial de l’humanité aussi dépourvue de lumières que l’animal, nous pouvons dire que c’est par une reconnaissance de ce manque initial de savoir que l’homme progresse. Ainsi d’in-fans (celui qui ne parle pas), et par la reconnaissance de cette carence initial, les hommes mettent en œuvre leur perfectibilité.

Mais si cela est vrai idéalement pour tous les hommes, pourquoi Bouvard et Pécuchet, présentés eux aussi comme des esprits incultes, en friches, mais ayant en eux la soif de la connaissance, n’accèdent-ils pas au savoir, mais au contraire sombrent progressivement dans l’abrutissement ?

 

 

Introduction : explicitation de la problématique 

 

 

 

 

 

 

 

 

Argument 1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Argument 2

 

 

 

Argument 3

 

 

 

 

 

Transition vers la partie suivante

 

 

 


2 – La bêtise comme perversion du jugement : incapacité à mettre en œuvre les connaissances faute de méthode

Références : Ménon, Bouvard & Pécuchet,  La Nausée (Sartre)

Ménon, les moines du collegium romanum, Bouvard et Pécuchet font partie d’une longue famille d’hommes ayant incarné la bêtise humaine comme trait universel de l’humanité ; ils y côtoient leurs cousins littéraires que sont Monsieur Jourdain, de Molière, Monsieur Périchon, de Labiche, l’autodidacte de La Nausée, de Sartre, ou même, dans leur version bande dessinée, les Dupond & Dupont. Tous ont comme caractéristique d’être plus bêtes que méchants, se distinguant ainsi de ceux que nous décrirons plus loin comme les hommes du pouvoir.

Ainsi, Ménon est incapable de comprendre la leçon de Socrate : il réitère sans cesse la même question : la vertu peut-elle s’enseigner, alors même que Socrate lui démontre qu’on ne peut y répondre sans se mettre d’abord d’accord sur ce qui constitue l’essence de la vertu. Pourtant il aurait pu apprendre, à l’exemple du jeune esclave, que l’on pouvait progresser dans la connaissance en acceptant de développer les facultés de notre être endormies. Il faudra même que Socrate renonce à la dialectique pour lui montrer, dans le développement de la méthode hypothétique et son infirmation par les faits, que l’opinion mal conduite ne peut mener qu’à une aporie, une impasse discursive.

Au tableau 4 de La vie de Galilée, le mathématicien et le philosophe offrent le pitoyable spectacle d’hommes enfermés dans l’autorité d’un philosophe du passé, qui, s’il avait connu la lunette astronomique et les découvertes qui en découlèrent auraient bien plutôt pris le parti de Galilée... Et plus loin, au tableau 6, les moines du collegium romanum donnent leur bêtise en spectacle, dans une pantomime qui se retourne bientôt contre eux... La bêtise est ici la confiance aveugle en la tradition, la foi en la lettre et non en l’esprit des Ecritures. Ces hommes sont, au sens propre du perme, bornés ; ils se vautrent avec complaisance dans leur propre ignorance.

Enfin nos compères Bouvard et Pécuchet ; en dépit de leur volonté de progresser dans les connaissances (« Ils s’informaient des découvertes, lisaient les prospectus et par cette curiosité, leur intelligence se développa » p. 56), confondant esprit de variété (pittoresque de l’observation) à l’esprit de variation (méthode scientifique) [1], ils agissent au hasard de leurs tocades et finissent par renoncer, écrasés sous le poids des contradictions de l’opinion. Ils ressemblent à l’autodidacte de Sartre, ce personnage de La Nausée de Sartre qui s’instruit dans l’ordre alphabétique. Même prétention à l’universalisme, même absence de méthode cognitive font de nos personnages les archétypes d’une ignorance confondue avec la bêtise.

Mais ce n’est que dans les cas cités qu’une telle assimilation est possible. L’étude des œuvres de notre programme nous révèle que certains hommes, sentinelles de l’ignorance, le font non par bêtise mais par goût du pouvoir.

Entrée en matière

 

 

 

 

 

 

 

 

Argument 1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Argument 2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Argument 3

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Transition vers la partie suivante

3 – La bêtise n’est pas qu’une ignorance : elle est souvent le masque d’une volonté délibérée de maintenir les peuples dans l’ignorance, et trouve son origine dans le désir de domination.

Références : Anytos, Bismarck, Les prélats romains, les notables de Chavignolles.

Bien sûr le Père Ubu est bête, bien sûr l’infâme Iznogoud échoue périodiquement dans ses intrigues pour devenir calife à la place du calife... Bien sûr les discours d’Hitler son d’une rare incurie ... mais ils sont aussi très efficaces, car sa rhétorique s’adresse non à des universitaires, mais à des masses maintenues dans un état de servilité et d’ignorance. Ces exemples introduisent à propos de la bêtise un doute légitime : et si elle n’était que le masque du désir de domination ?

Anytos, dans le Ménon ne veut de la vérité, ni pour lui, ni pour la jeunesse ni pour le peuple. Ce qu’il veut c’est protéger l’ordre en place. La condamnation inique qu’il obtiendra contre Socrate est motivée par cette volonté de maintenir des privilèges non pas conquis par vertu, mais hérités d’un père vertueux... Il nous semble borné, il est en fait dangereux, et politique au sens de l’intrigue. Si ses arguments sont faibles, c’est qu’il s’en passe volontiers, comme tous les tyrans. « la force prime le droit », dira cyniquement Bismarck. Lui saura aussi abuser de la bêtise et de l’orgueil des députés français pour déclencher la guerre de 1870 contre la Prusse en « traficotant » habillement la fameuse dépêche d’Ems.

Les prélats romains ne sont ignorants qu’en apparence : distinct en cela  des moines dont nous parlions ci-dessus, ils veulent, eux, organiser l’ignorance des peuples en confisquant les découvertes de la science naissante. La bêtise n’est que de façade. Ni l’inquisiteur, ni le Pape Barberini, ni le cardinal Bellarmin ne sont des imbéciles : se sont des stratèges. La condamnation portée sur Galilée nous semble une bêtise : elle trouve son explication (et non sa justification) dans une volonté politique de maintenir un ordre en place.

Enfin, si Bouvard et Pécuchet réalisent bien tous deux la synthèse de l’ignorance et de la bêtise, au moins ont-il l’alibi de ne pas être méchants. Mais si l’on y regarde de plus près, nous les voyons environnés de coquins et de notables qui, eux, vont adapter leur propre savoir-faire à la prospérité de leurs intérêts. Ils ne sont guère moins ignorants que nos « héros » ; ils sont simplement plus malins qu’eux.

Introduction

Explicitation de la problématique

 

 

 

 

 

Argument 1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Argument 2

 

 

 

 

 

 

 

 

Argument 3

 

Conclusion :

Ainsi on peut dire que la bêtise ne se confond pas avec l’ignorance. La bêtise de l’être vierge, dépourvu de connaissances, est en réalité chargée des promesses d’une perfectibilité.  Les deux termes ne sont synonymes que si l’on fait de la bêtise une altération du discernement, une impossibilité à mettre en œuvre ses connaissances. Mais la bêtise peut aller au-delà de la simple erreur de jugement : elle peut le pervertir, lorsque, pour cause de désir de domination, elle vise à maintenir le pouvoir d’une caste à travers ses préjugés.

 

  Position finale

 

  Première partie

 

  Seconde partie

 

 

  Troisième partie

M. Le Guen



[1] La distinction est de G. Bachelard