EPICURE
Epicure est un philosophe du 3em siècle avant J. C. soit deux cent ans après Socrate et Platon et cent ans avant Aristote. Il est contemporain de l'apparition du stoïcisme, auquel il s'opposera. Stoïcisme et Epicurisme vont se développer dans tous le bassin méditerranéen. Quelques noms : Epicure, Métrodore, Ménécée, Cicéron et Lucrèce. L'épicurisme est né dans une période troublée de l'histoire grecque, qui s'achèvera d'ailleurs par la ruine de l'influence d'Athènes.
1
- L'épicurisme est un naturalisme
C’est le point commun entre les stoïciens et les épicuriens, qui adoptent, en lui donnant des sens différents, un même précepte :
Mais :
Le stoïcisme fait de la nature un « grand tout divinisé », un univers clos, un ensemble harmonieux où règne la providence. Un même pneuma[1] anime les êtres, du végétal à l’homme ; un même fatum[2] règle l’existence des homme et des dieux. Nul n’y échappe, et vouloir s’y soustraire serait folie : les argonautes l’apprendront à leurs dépends. Le sage doit donc admettre que le destin, l’ordre du temps, est la règle suprême : il vaut donc mieux changer ses désirs que l’ordre du temps. Ainsi, le problème du sage n’est pas tant d’éviter la blessure, que d’apprendre à maîtriser sa souffrance ; il doit être capable de lui dire : tu n’est que l’idée que je me fais de toi et en tant que tu n’es qu’une représentation, mon esprit peut te dominer
L’épicurisme considère la nature comme la donne de départ, comme ce qui est. Toute représentation de l’esprit devra donc être en accord avec elle, ce qui disqualifiera d’emblée tout recours à des hypothèses surnaturelles ; toute conduite devra par ailleurs y être référée. La seule vertu qu’il lui concède, c’est sa fécondité, d’où l’apologie allégorique de Vénus génitrix au début du livre 1 du De natura rerum[3], de Lucrèce. Il n’y a pas de place dans cette nature pour un destin, ou pour une quelconque intention : tout s’explique à partir du mouvement des atomes, selon un principe qu’Epicure emprunte à Démocrite « tout ce qui existe dans le monde est le fruit du hasard et de la nécessité »
En conséquence, l’univers ne fait pas seulement l’objet d’une contemplation, comme chez les stoïciens. L’univers, tout comme l’homme, corps et âme, qui en fait partie, est connaissable. C’est par cette connaissance que nous pouvons lutter contre les craintes qui nous empêchent d’être heureux, notamment la crainte de la mort, et celles que nous inspirent les dieux des religions populaires et leur attirail mythologique.
2 – Les divisions de la
philosophie selon Epicure.
Ces divisions se présentent comme une sorte de « programme scolaire », qu’Epicure présentait à ses élèves, et qui probablement structuraient les grands chapitres de son enseignement philosophique. Cependant il ne faut pas perdre de vue que seule l’éthique constitue la fin de cette réflexion : l’épicurisme se définit avant tout comme un art de vivre, et les deux premières divisions de sa philosophie ne sont que les prolégomènes de cette sagesse.
2.1 – La
canonique[4]
On y recherche les critères du vrai, ou plus précisément, de la pensée qui convient. La recherche du vrai en soi, de l’idée de vérité est en effet étrangère au système d’Epicure. La vérité, c’est seulement celle qui réussit à chasser le trouble de l’âme.
Il ne s’agit donc pas, à la manière platonicienne d’entraîner l’esprit, par la pratique de la dialectique vers la contemplation des essences, en renonçant aux apparences du monde sensible.
Il ne s’agit pas non plus, à la manière d’Aristote, d’étudier les rapports du concept et de la chose, et des diverses fonctions de la logique, afin de s’élever vers la connaissance suprême, la théologie.
Il ne s’agit pas non plus, comme chez les stoïciens de montrer l’étroite sympathie unissant les phénomènes de la nature, et de montrer que ceci participe d’un déterminisme universel.
La canonique épicurienne est un moyen d’approcher la réalité. La connaissance des sens est valorisée. L’épicurisme est un sensualisme, toute connaissance débute et doit retourner à la sensation.
La sensation naît du contact de deux corps : les atomes des corps produisent des « simulacres », sortes de particules qui s’en détachent et viennent frapper les atomes de nos oreilles, de nos yeux etc… Mais la sensation la plus vraie est sans doute celle du toucher, car le contact des corps est sans médiation, ni distance.
De la répétition des sensations naissent des pré-notions, ou anticipations qui nous permettent de ne pas être totalement ignorants de ce que nous percevons ou allons percevoir. Mais ce savoir anticipé doit être rapporté à la sensation pour constituer une connaissance.
D’où vient alors que nous nous trompons parfois ? C’est que nous rajoutons aux sensations des opinions, des interprétations, sans les rapporter à la sanction d’une sensation.
L’objection classique que l’on fait alors à Epicure est de mettre la sensation en contradiction avec elle-même : d’où vient qu’une eau, à même température, nous paraisse fraîche en été et tiède en hiver ? Epicure nous répondrait qu’il n’a que faire de la nature « véritable » de l’eau : ce qui importe surtout c’est de rapporter cette sensation à l’homme : est-il bon pour lui qu’elle soit froide en été et chaude en hiver ? L’épicurisme est un humanisme, car pour lui « l’homme est la mesure de toute chose [5]»
Car ses deux critères sont plus des critères du bon que des critères du vrai. Ce critère c’est l’affection, au nombre de deux, le plaisir et la douleur.
On devrait penser alors que tout plaisir serait à rechercher, et que toute douleur serait à fuir. En fait il n’en est rien, et nous découvrirons plus loin que, si l’épicurisme est un hédonisme[6], il s’agit d’un hédonisme raisonné.
Enfin, la sanction de la sensation se fait selon trois modalités :
- La confirmation : la sensation confirme notre représentation, notre pensée.
- L’infirmation : la sensation est contraire à notre représentation
- La non infirmation : la sensation ne confirme pas notre représentation, mais celle-ci n’est pas non plus contraire à la sensation. Nous pouvons donc la considérer comme établie, tant que la sensation ne viendra pas l’infirmer.
2.2
– La physique[7]
Il ne faut pas entendre ce terme dans son acception moderne, comme une connaissance ayant pour but de connaître le monde et éventuellement de l’exploiter à travers une technique. Une telle perspective de « savoir pour savoir » serait d’ailleurs étrangère au monde grec en général.
Il faut plutôt comprendre l’intérêt que les épicuriens portent à la connaissance de la nature comme un moyen curatif de lutter contre les craintes inspirées par les superstitions qui troublent nos âmes et nous empêchent d’être heureux.
La différence entre science moderne et science épicurienne est éclatante, quand on considère que la première cherche une explication et une causalité unique à un événement donné, alors que pour Epicure, il vaut mieux disposer de plusieurs interprétations, toutes naturalistes, d’un même phénomène : chacun y trouvera son compte, en choisissant celle qui est la plus propre à le rassurer.
Nous nous proposons à présent d’exposer cette conception physique dans ses grandes lignes, en montrant que l’ensemble de la théorie se déduit d’une conception particulière de la matière : l’épicurisme est un matérialisme.
-
Les atomes[8]
Ce sont les particules élémentaires dont sont formés tous les corps. Elles sont indestructibles, mais ne possèdent pratiquement aucune autre qualité. De l’étude de leurs mouvements, on peut déduire une conception de la création du monde, et même, on le verra, de la liberté humaine
Il y a trois sortes de mouvements des atomes
o la pesanteur : Les atomes chutent dans le vide, sur des trajectoires parallèles : ils ne devraient donc jamais se rencontrer ; cette « pluie » d’atome est éternelle, et s’il n’y avait que ce mouvement nécessaire le monde n’eût jamais été créé.
o la déclinaison ou le clinamen : originalité principale de la physique épicurienne : c’est une propriété des atomes de « décliner » (changer de trajectoire) hors de la ligne imposée par la pesanteur. La déclinaison est imprévisible, contingente. Elle n’est pas non plus un libre arbitre des atomes, qui décideraient de décliner. Non elle est un phénomène au hasard et non déterminé.
o Mais ce point a une importance capitale, qui dépasse largement le plan de la physique ; en effet, nous sommes nous aussi composés d’atomes ; notre liberté, en tant que sujet, repose sur la capacité des atomes qui nous constituent de dévier de leur trajectoire. L’originalité de la philosophie épicurienne est de développer une conception matérialiste de la liberté : elle est inscrite profondément en nous, dans les composants ultimes de notre être.
o le choc : si les atomes dévient de leur trajectoire, il est inévitable qu’ils se rencontrent. Il suffit d’ailleurs que l’un d’entre eux ait dévié pour que le désordre s’installe. Mais Epicure se méfie, et prête la capacité du clinamen à tous les atomes, afin de ne pas suggérer l’idée que l’un d’entre eux puisse être, à lui-seul à l’origine de la création du monde. On évite ainsi de le diviniser
Le choc de cette rencontre provoque soit une nouvelle déviation des atomes qui se sont croisés, et qui, à leur tour, croiseront d’autres atomes, soit une agrégation des deux atomes dans un corps composé.
-
Les corps composés, ou concilium
Agrégats d’atomes, ils n’ont plus la qualité d’être éternels. Ce que le hasard de la rencontre des atomes a fait, le hasard le défera, et tout corps composé est voué, après une période de croissance et de maturité, au déclin et à la décrépitude. Ceci est vrai aussi bien pour la matière inanimée, que pour la vie, ou pour notre âme. En revanche, ces corps composés engendrent des qualités : ils sont visibles, ont des couleurs, le mouvement, et pour les alliages les plus subtils, la sensibilité et la pensée.
- L’espace
Entre les atomes, le vide, condition du mouvement. L’espace est réputé infini.[9]
- Le temps
L’accident des accidents : ensemble d’accidents, et non un destin. Il est défini comme hasard, c’est à dire comme ce qui pourrait aussi bien ne pas être.[10] Ainsi, rien n’arrive nécessairement, il n’y a ni ordre du temps, ni fatalité. La liberté, inscrite dans les atomes sous la forme du clinamen, est infinie, comme le sera aussi d’ailleurs la responsabilité face à notre vie.
L’effort du sage stoïcien est de s’intégrer dans un ordre temporel qui le dépasse. Le sage épicurien pense que chaque moment du temps n’est que passage : accident heureux, dans le plaisir, il en jouit ; accident malheureux, quand il souffre, il s’en protège :
o En se réfugiant dans le souvenir d’autres moments heureux : il peut ainsi transformer l’éphémère et le fugace en moment qui dure.
o En fuyant le monde et ses dangers, en particulier en se retirant dans son jardin.
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L’âme
Elle est matérielle, composée, pareillement au corps, d’atomes en mouvement. La pensée est le résultat de la combinaison des atomes, eux même sans conscience. Comparée à la simple vie animale, qui n’est capable que de sensations immédiates, elle est capable de combiner des sensations de manière intemporelle, c’est à dire d’échapper à la tyrannie du présent.
L’âme a donc la possibilité d’échapper, dans une certaine mesure, au hasard. Elle est libre et responsable de ce que sera sa vie.
En tant que concilium, elle est mortelle.
2.3 –
L'Ethique
Partie essentielle et but ultime de la démarche épicurienne, elle vise « la santé du corps, et l’absence de trouble de l’âme ». Elle comporte donc deux phases :
La thérapeutique des craintes
La gestion des désirs et des plaisirs.
La philosophie épicurienne ne promet rien d’autre que le bonheur, mais non pas demain, dans un hypothétique ailleurs, mais hic et nunc[11] que l’on retrouvera chez Horace dans le célèbre « carpe diem »[12] L’heure de philosopher est donc toujours l’heure présente, car il n’est jamais ni trop tard, ni trop tôt pour être heureux.
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2.3.1 – La thérapeutique des craintes
Pour parvenir au bonheur, notre âme doit tout d’abord se purifier des craintes qui l’obscurcissent et l’empêchent de jouir du présent. Ces craintes ont deux origine : les conceptions communes des dieux, et celles que nous nous faisons de la mort.
o
Les Dieux
Malgré leur matérialisme, les épicuriens postulent, de manière curieuse, l’existence des Dieux. L’argument vient de la canonique : la sensation ne confirme pas leur existence, mais ne l’infirme pas non plus. Nous pouvons donc considérer qu’ils sont, à condition de ne rien leur accorder qui soit incompatible avec leur être.
Les Dieux sont immortels, jouissent d’une félicité totale, sont omniscients et omnipotents. Etre parfaits, ils échappent donc à la contingence du temps et vivent dans des « inter-mondes » d’où ils ne s’occupent pas des affaires humaines. On ne voit en effet pas pourquoi des êtres parfaits, éternels et béats s’intéresseraient à des être imparfaits, mortels et malheureux. Ils n’ont pas plus créé le monde
Cette conception est tournée contre les mythologies populaires, dont les dieux sont tout au plus des surhommes : ils partagent avec eux passions et contingence. D’où vient l’idée que nous pourrions nous concilier leurs grâces, ou craindre leur puissance. Il faut donc que le sage se débarrasse de cette superstition.
Il en résulte que l’homme capable de piété est le sage épicurien, non l’homme commun ; lui seul respecte la nature des dieux, avec qui il peut rivaliser sur un point : la recherche du bonheur. Ainsi l’épicurisme est à la fois théiste, et eudémoniste[13].
o La Mort
La première tâche du philosophe est de reconnaître le caractère inéluctable de notre condition de mortels. La pensée de la mort est positive : elle signifie que notre vie est limitée, et que nous n’avons pas de temps à perdre, « le printemps fuit, hâtons nous d’être heureux[14] » ; elle tend notre arc de manière remarquable.
Cependant, la mort n’est rien pour nous. Si peu, que Epicure, dans certains textes, le nommera « la non vie» Elle n’est rien, car, si tout savoir dérive de la sensation, il n’y a pas de connaissance possible de la mort, car cette dernière est privation de la sensation.
Processus simplement physique, dissolution du concilium, elle ne saurait nous effrayer : elle n’est tout au plus pour nous qu’une sommeil sans rêves. On ne peut pas plus la désirer (suicide) que la craindre (souffrance) ni d’ailleurs en espérer quoique ce soit.
Mais inversement, cela signifie que la véritable patrie de l’homme c’est la vie, dont le sage va maintenant devoir s’emparer.
-
2.3.2 – La gestion des désirs et des plaisirs
Nous le disions plus haut, la liberté infinie de l’homme le met en face de sa responsabilité : il est responsable de son bonheur, comme de son malheur. La raison doit donc s’emparer de la vie, et si le « plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse » cela ne signifie pas pour autant que tout désir soit à rechercher et toute douleur à fuir.
Epicure distingue trois sorte de plaisir et de désirs :
o
Les plaisirs naturels et nécessaires
Ce sont les
seuls auxquels nous pouvons nous livrer sans craintes. Ils sont nécessaires à
la santé du corps et à la tranquillité de l’âme. Parce qu’ils sont naturels,
ils ont faciles à obtenir et le sage ne risque pas d’en manquer. Nous pouvons
donc espérer nous suffire à nous même en ce qui concerne la satisfaction de
tels désirs.
o
Les plaisirs naturels non nécessaires
Ils naissent du désir de variété : encore que nous puissions tous les jours nous contenter de la même nourriture, il peut nous venir le désir d’en changer de temps en temps. Ceci n’est pas dangereux, si du moins nous pouvons être certains de ne pas souffrir demain, si ces mêmes bien venaient à manquer.
Ces plaisirs doivent donc être regardés avec circonspection, ce que doit faire la raison du sage. Il ne cède à ses plaisirs que s’il est certain de ne pas créer ainsi de dépendance.
o
Les plaisirs non naturels non nécessaires
Ces plaisirs ne peuvent nous conduire à la félicité. Ils sont constitués par la recherche de la gloire, de la richesse, de jouissances contre nature.
Remarquons que la condamnation d’Epicure ne se fiat pas au nom d’un recours à un quelconque code éthique. Ces passions sont dangereuses car elles nous soumettent au risque du monde, elles nous plongent dans la contingence que nous ne pouvons dominer.
D’autre part, le débauché est toujours insatisfait : il se plaint de devoir mourir, mais, occupé qu’il était de jouir de tout, insatiable, il n’a jamais vraiment joui de ce qu’il avait. Il meurt donc malheureux, et responsable de son malheur.
On voit donc que la philosophie d’Epicure place en son centre la liberté et la raison humaine. Notre liberté est notre essence : se suffire à soi même et se contenter de peu est donc le gage de notre bonheur. C’est pourquoi la raison du sage le fait organiser son bonheur : le monde est contingence, c’est à dire que le nombre d’inconnues est trop vaste pour que nous puissions espérer le gérer. Il faut donc créer une parenthèse dans le monde, réduire autant que possible les inconnues à ce que nous pouvons maîtriser ; d’où le jardin du sage, lieu clos où il peut prétendre organiser son bonheur et celui de ses amis.
La préoccupation éthique, la recherche du bien, n’est donc pas distincte, pour Epicure de la recherche du bonheur. « Les hommes (peuples) n’ont pas d’histoire » a t-on pu dire. C’est aussi le cas du sage. Dans la félicité, il ne désirera pas autre chose que son bien, ne convoitera pas celui d’autrui, car il aura obtenu tout ce qui lui revient.
2.3.3 – Le bonheur des dieux
Mais quelle est donc la nature de son bonheur ? Epicure nous promet rien moins que de « vivre en mortel à l’égal des Dieux ». Si nous ne pouvons rivaliser avec eux sur le plan de l’éternité, nous pouvons les égaler sur celui du bonheur.
Le niveau suprême du bonheur, c’est l’ataraxie, l’absence de troubles de l’âme. Il faut entendre par là que le plaisir du sage n’est pas quantitatif, mais qualitatif. Si je suis dans les meilleures conditions pour accueillir le plaisir qui passe, je puis le faire durer toujours, en esprit. Je domine donc le caractère contingent du temps, en faisant pour moi de ce moment de bonheur passager un bonheur qui dure, capable de vaincre la souffrance.
Le jardin du sage ressemble aux intermondes des dieux.
3 – Quels sont les prolongements de la philosophie épicurienne dans
l’histoire de la philosophie ?
La philosophie épicurienne s’est répandue dans tout le bassin méditerranéen et va, entre le 3ème siècle avant J-C et le 3ème siècle de notre ère connaître un développement considérable, comme en attestent les rouleaux découverts à Herculanum. Dans la période latine, divers auteurs, dont Horace, et Plutarque et surtout Lucrèce, contribueront à faire connaître la pensée d’Epicure. Cependant, deux causes expliquent que cette expansion sera relativement limitée :
- L’épicurisme n’a pas, comme le stoïcisme de visée universaliste : C’est une philosophie qui s’adresse aux individus en particulier, et elle requiert la libre adhésion de chacun. Sa portée est donc toujours confinée à des groupes d’hommes et de femmes décidant de vivre ensemble selon les préceptes d’Epicure.
- L’épicurisme, parce qu’il est un matérialisme, a suscité la critique (et probablement la censure) de l’Eglise chrétienne qui, en revanche, s’accommodait fort bien d’Aristote et des Stoïciens.
On peut voir d’ailleurs la conséquence de ces critiques dans la réduction de sens qu’à subit le terme « d’épicurien » dans la langue : aujourd’hui, un « épicurien » c’est un bon vivant, en bref un jouisseur, un hédoniste. On vient de voir que la pratique de la sagesse épicurienne est plus proche de l’ascèse que de la débauche.
A la renaissance, on retrouverait les échos épicuriens dans la littérature, et en particulier chez Rabelais, dont l’Abbaye de Thélème (« fais ce que voudra ») ressemble au jardin du sage.
On retrouve une indéniable influence du matérialisme épicurien chez Marx.
On pourrait également retrouver un prolongement indirect dans les divers mouvements hippies du début des années 60, et même dans certaines tendances « new age ». Mais à l’époque contemporaine, ces emprunts sont plus discutables, car le propre des sociétés développées du XXe siècle est de s’approprier des pensées d’origine diverses et de les mêler dans un « melting pot » culturel où l’on retrouve des échos de divers systèmes de pensées. S’il s’agissait d’éclectisme, retenant de chaque philosophie ce qu’elle a de meilleur, nous pourrions nous en réjouir. Mais ce brouet culturel ne retient généralement que des ersatz de spiritualité, du yoga macrobiotique aux hystéries sécuritaires et sectaires des anglo-saxons.
Plus sérieusement, il nous
semble que c’est Camus qui serait le plus digne héritier d’Epicure. Je
conseille de lire, en complément de la lecture d’Epicure et de Lucrèce, le
recueil de nouvelles Noces, et en particulier les deux premières
nouvelles. On y retrouve deux traits de la grandeur du sage épicurien : un
hymne à la vie et au plaisir, célébrés dans « noces à Tipasa »
et une lucidité sans faille face à la mort, postulée comme une exigence éthique
dans « Le vent à Djemila ». « Toute mon horreur de
mourir tient dans ma jalousie de vivre (…) C’est dans la mesure où je me sépare
du monde que j’ai peur de la mort, dans la mesure où je m’attache au sort des
hommes qui vivent, au lieu de contempler le ciel qui dure.
M. Le Guen (06/2001)
[1] souffle
[2] destin
[3] « de la nature des choses »
[4] du grec kanon, le règle du maçon, la mesure
[5] selon la citation de Protagoras, philosophe pré-socratique
[6] Hédonisme : du grec hédon : se dit d’une philosophie qui place le plaisir au centre de sa quête.
[7] Du grec phusis, la nature
[8] étymologiquement : que l’on ne peut diviser
[9] Une telle conception de l’infinité de l’espace est originale dans la pensée grecque, dominée par le géocentrisme de Ptolémée. Il faudra attendre Galilée et la naissance de la pensée moderne pour retrouver, dans la culture occidentale, cette idée de l’infinité du monde.
[10] Le destin est, au contraire, ce qui ne peut pas ne pas être, ce qui est strictement déterminé.
[11] Ici et maintenant
[12] cueille le jour
[13] eudémonisme : philosophie qui fait du bonheur la fin de l’existence.
[14] Comme le dira bien plus tard Baïf.