Peut-on concilier la liberté et l'égalité dans la vie sociale ?

 

 

 

 

 


Peut-on :

Concilier :

Liberté et Egalité :

Dans

 la vie sociale :

Est-ce

légitime

?

C’est à dire ces deux valeurs sont elles les conditions nécessaires et universelles d’une société juste ?

Est-ce

possible

?

Ne sont-elles pas exclusives l’une de l’autre ?

Faire cohabiter

Rendre compatibles

Harmoniser

Principes fondamentaux de la démocratie :

"Les hommes naissent libres et égaux en droit et en dignité"

Exigences théoriques fondamentales du contrat social chez Rousseau

Dans la vie commune

Dans les sociétés

Dans la pratique collective

Note : En théorie ?

Note : En pratique ?

 

Note : Les deux principes cohabitent aussi dans la devise de la République Française associés à un troisième concept :

 la Fraternité

 

 

Reformulation du sujet :

 

Suffit-il d'affirmer aux frontons des Mairies le caractère indéfectible de ces valeurs théoriques pour qu'elles soient compatibles dans la réalité pratique de la vie collective?

 

Réponse visée dans la conclusion générale du devoir :

Un principe juridique, légitime sur le plan théorique, peut très bien conduire dans son application à des iniquités, ou entrer en contradiction avec d'autres exigences du droit. Ainsi en va-t-il de la liberté et de l'égalité, qui ne peuvent être conciliées dans la vie sociale que par un appel au sens moral des citoyen, au nom d'un principe éthique supérieur aux  exigences du droit : la fraternité.

 


 

Introduction :

"Les hommes naissent libres et égaux en droits et en dignité" proclame solennellement la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Elle associe ainsi, au niveau des fondements du droit les deux principes d'Egalité et de Liberté, comme conditions nécessaires à la légitimité d'une constitution juste. Mais cette association au niveau des principes se réalise-t-elle dans les faits ? Peut-on concilier la Liberté et l'Egalité dans la vie sociale ? Suffit-il d'affirmer aux frontons des Mairies le caractère indéfectible de ces valeurs théoriques pour qu'elles soient compatibles dans la réalité pratique de la vie collective?

Nous montrerons d'abord l'étroite solidarité de la liberté et de l'égalité, comme exigences fondamentales du droit, avant de souligner à quelles contradictions conduit leur affirmation simultanée. Enfin nous tenterons de résoudre ce divorce entre les principes du droit et leur application en postulant un troisième principe susceptible de les harmoniser : la Fraternité.

 

 

Présentation

initiale

 

 

 

 

 

Enoncé du sujet

 

 

Reformulation

 

 

 

 

Plan

 

Première partie :

 

Argument :

Les deux principes de la liberté et de l'égalité sont mutuellement nécessaires à la création d'une société de droit ; ils sont les conditions mêmes de la démocratie. Pourquoi ne peut-il y avoir de société juste qui ne soit fondée sur l'affirmation simultanée de ces deux valeurs ?

 

1.1 Le contrat social définition théorique du projet :

"Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant"

(Rousseau : Du Contrat Social, L. I. Ch. VI)

 

Quelles sont les conditions de ce contrat :

Aliénation absolue (1) et unanime (2) des  libertés  naturelles  au  profit d'une liberté sous les lois, réciprocité des engagements (3) :

(1)

"Aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté : car premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous ; et la condition étant égale pour tous, nul n'a intérêt à la rendre onéreuse aux autres." (Ibidem.)

(2)

"L'aliénation se faisant sans réserve, l'union est aussi parfaite qu'elle peut l'être, et nul associé n'a plus rien à réclamer : car s'il restait quelques droits aux particuliers, (...) l'association deviendrait nécessairement tyrannique ou vaine".                              (Ibidem)

(3)

"Chacun se donnant à tous ne se donne à personne ; et come iln'y a pas un associé sur lequel on n'acquière le même droit qu'on lui cède sur soi, on gagne l'équivalent de tout ce qu'on perd, et plus de force pour conserver ce qu'on a."

(Ibidem)

Le Contrat social repose donc dans son principe sur l'idée que la liberté civile est reçue par tous de la loi ; pour que la société soit juste, il faut que cette liberté et les droits et devoirs qui lui sont liés soit également répartie parmi tous les citoyens. (4)

(4)

"Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons encore chaque membre comme partie indivisible du tout." (Ibidem)

 

1.2 L'égalité de tous devant la loi comme condition de la liberté : égalité et liberté politiques, juridiques, égalité des chances.

Sur quoi repose la société de droit ? Sur une double nécessité : la liberté des citoyens et leur égalité face à la loi.

Cette double obligation se décline :

          -   En liberté politique et en particulier en liberté d'opinion et de vote ; ceci doit se doubler d'une égalité politique, assurant que le vote de chaque citoyen a la même valeur.

          -   Egalité juridique :  tous sont égaux devant la loi, et la liberté de chacun est garantie par une administration publique de la justice.

          -   Egalité des chances : ce principe vise à compenser les inégalités de richesse et devrait, du moins en théorie, en offrant un accès égal au savoir, permettre à chacun de choisir librement son devenir.

On voit donc que dans la société de droit, les questions de la liberté et de l'égalité sont étroitement solidaires, comme conditions de possibilité du droit.

 

1.3 Le contrat social : un édifice théorique fragile.

Ainsi, le contrat social, le texte fondamental d'une société de droit est déjà, du seul point de vue théorique, un édifice fragile. Il est soutenu par deux principes, l'égalité et la liberté, qui se complètent mutuellement.

La fragilité du contrat est précisément dans cette notion d'équilibre. On tâche de compenser les excès de l'égalité politique (qui, exercée seule, comme dans la Grèce antique, peut bien mener à la tyrannie), par d'autres dispositions compensatrices.

Mais on voit que de tels équilibres, même ceux réalisés par une humanité primitive au sein des sociétés sauvages est sans cesse menacé :

"Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés  au  genre  humain  celui qui,  arrachant les pieux ou  comblant le fossé, eût crié à ses  semblables : "Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne !"

( Rousseau :  Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes, deuxième partie)

Ainsi la première manifestation de la volonté dans l'histoire s'accompagne-t-elle de l'inégalité. Le Contrat social pourra-t-il restaurer l'égalité sociale ? Oui sans doute, mais en établissant un équilibre si fragile que Rousseau lui-même à douté de sa pérennité :

"Le corps politique, aussi bien que le corps de l'homme commence à mourir dès sa naissance et porte en lui-même les causes de sa destruction"

(Rousseau : Du contrat Social L. III, Ch. XI)

Nous verrons plus loin que c'est dans le passage du théorique au pratique, du droit au fait, que l'application des deux principes conduit à des contradictions.

 

Conclusion de la première partie :

L'idéal de la démocratie, inspiré du Contrat Social de Rousseau est un édifice fragile, car il repose sur deux exigences rigoureuses, qui envoient l'une à l'autre. La fragilité vient essentiellement du fait qu'il suffit à un particulier de refuser de se soumettre à l'un ou l'autre de ces principes pour que le contrat soit rompu et l'édifice social  menacé de ruine.

 

SECONDE PARTIE

 

Argument :

Etudions à présent ce qu'il advient de nos deux principes dans la réalité sociale. Leur application   simultanée ne conduit-elle  pas  à  une  véritable aporie,   une  impasse logique ?

 

2.1 L'exercice de la liberté individuelle conduit nécessairement à l'apparition d'inégalités.

La sociabilité permet aux hommes de se découvrir en tant que sujets capables de volonté. Ils découvrent du même coup leur amour propre et cherchent dans la société à satisfaire d'abord leur intérêt propre :

"Chacun commença à regarder les autres et à vouloir être regardé lui-même, et l'estime publique eut un prix. Celui qui chantait ou dansait le mieux, le plus beau, le plus éloquent, devint le plus considéré ; et ce fut là le premier pas vers l'inégalité (...)

Sitôt que les hommes eurent commencé à s'apprécier mutuellement, et que l'idée de la considération fut formée dans leur esprit, chacun prétendit y avoir droit, et il ne fut plus possible d'en manquer impunément pour personne. De là sortirent les premiers devoirs de la civilité, même parmi les sauvages ; et de là, tout tort volontaire devint un outrage, parce qu'avec le mal qui résultait de l'injure, l'offensé y voyait le mépris de sa personne, souvent plus insupportable que le mal même. C'est ainsi que, chacun punissant le mépris qu'on lui avait témoigné d'une manière proportionnée au cas qu'il faisait de lui-même, les vengeances devinrent terribles, et les hommes sanguinaires et cruels. "

Rousseau : Discours sur l'origine de l'inégalité, deuxième partie.)

On retrouve ici la racine même du désordre social, ce que Kant appellera plus tard l'insociable sociabilité c'est à dire, le conflit sans cesse renaissant de la sociabilité et des intérêts particuliers. La moindre action libre, entreprise dans la société, ne serait-ce que de celles qui sont liées à la volonté d'entreprendre (sur le plan économique) est génératrice d'inégalités.

 

2.2 Un excès d'égalitarisme peut aussi mener à la disparition de la liberté individuelle en dégénérant en conformisme.

"A mesure que les citoyens deviennent plus égaux, le penchant de chacun à croire un certain homme ou une certaine classe diminue, la disposition à croire la masse augmente et c'est de plus en plus l'opinion qui mène le monde"

(Tocqueville : De la démocratie en Amérique)

Ce conformisme social transforme la société en bergerie fraternelle selon l'expression de S.de Beauvoir. On ne peut éviter que l'égalitarisme finisse par nier toutes les différences et toutes les originalités. Des exemples pris à l'histoire mondiale de ces 50 dernières années le montreraient. (ref. : Aldous Huxley : Le meilleur des mondes)

 

2.3 Pour pouvoir être appliqué, le contrat social doit devenir un régime majoritaire : que reste-t-il dans un tel régime de double aspiration à la liberté et à l'égalité ?

Les citoyens sont libres parce qu'ils obéissent à une loi établie d'un commun accord et égaux parce qu'ils participent tous à l'élaboration de cette loi. Mais dans les nations modernes,  le seul système viable pratiquement est celui de la majorité. Cette dernière ne risque-t-elle pas d'opprimer la minorité ? Je suis libre si mon avis l'emporte, mais le suis-je encore minoritaire ? Si l'avis contraire du mien l'emporte, je dois m'y soumettre pour ne pas rompre le pacte social... A moins que celui-ci ne  dégénère  en pacte  totalitaire,  hypothèse  qu'avait envisagée Rousseau :

"Celui qui refusera d'obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps, ce qui ne signifie rien d'autre sinon qu'on le forcera d'être libre"

(Rousseau : Du contrat social)

On constate ici que l'application du principe de l'égalité politique (valeur égale du droit de vote) dans le système majoritaire peut conduire à la tyrannie de la majorité sur la minorité, en privant celle-ci de tout recours.

 

Conclusion de la seconde partie.

L'égalité et la liberté, qui semblaient bien établies en principe, entrent en contradiction dès qu'elles s'appliquent dans la réalité sociale. Ainsi doit-on admettre que leur affirmation simultanée conduit à une véritable aporie.

 

TROISIEME PARTIE

Argument : Comment peut-on sortir de cette impasse ? Doit-on désespérer de la société et renoncer à concilier ou à harmoniser les deux aspirations à plus d'égalité et à plus de liberté ?

"Si les nations de nos jours ne peuvent faire que dans leur sein les conditions ne soient pas égales, il dépend d'elles que l'égalité les conduise à la servitude ou à la liberté, aux lumières ou à la barbarie, à la prospérité ou à la misère"

(A. De Tocqueville : De la démocratie en Amérique)

Quel principe moral peut venir compenser les excès mutuels de la fougue égalitariste ou libertaire , comment éviter l’égalitarisme liberticide, et le libéralisme inégalitaire ? Ne serait-ce pas l'idée de Fraternité que la sagesse d'une nation avait fait joindre aux deux autres valeurs dans sa devise ?

Dans sa Philosophie de l'Histoire, Hegel salue dans le christianisme le mode de pensée qui a introduit dans l'histoire l'universalisation de l'idée d'homme.

C'est en effet le Christ qui, dans sa vie va poser des actes symboliques qui réunissent tous les hommes dans une fraternité universelle :

          -    Le fait qu'Il soit crucifié entre deux voleurs.

-        surtout cette parole adressée à la Vierge Marie et à Saint-Jean :

 "Femme, voilà ton fils. Puis il dit au disciple : voilà ta mère"

(Saint Jean, 19 V26 et 27)

Le précepte moral qui est au centre du christianisme, "aime ton prochain comme toi même" réaffirme cette confraternité universelle.

Mais le fondement de l'idée de fraternité peut aussi être profane : comme par exemple chez Kant où les exigences morales sont rationnelles :

"Agis de telle sorte que tu puisses vouloir que la maxime de ton action soit considérée comme une loi universelle."

"Agis toujours de telle sorte que tu considère dans ton action autrui comme fin et non comme moyen"

Ces deux impératifs définissent aussi la fraternité en termes d'universalité et de fin absolue. La référence n'est plus ici Dieu, mais la raison universelle de l'humanité.

Seul le recours à cette notion transcendante, et qui échappe en tant que telle aux fluctuations et aux contingences de la vie sociale peut inciter les hommes à limiter les effets négatifs de l'égalité et de la liberté.

 

3.3 Ce n'est  donc   pas  dans   les   constitutions  que  se    trouve  la  résolution  des   iniquités : aucune société n'est parfaite, et seul le sens moral peut indiquer à l'homme la direction du bien.

"Aucune société n'est parfaite. Toutes comportent par nature une impureté incompatible avec les normes qu'elles proclament et qui se traduit concrètement par une certaine dose d'injustice, d'insensibilité et de cruauté. (...) aucune société n'est foncièrement bonne ; mais aucune n'est absolument mauvaise. Toutes offrent certains avantages à leurs membres, compte tenu d'un résidu d'iniquité dont l'importance paraît approximativement constante."

(Claude Lévi Strauss : Tristes Tropiques)

Seule la conscience et la volonté des hommes peut leur faire agir moralement pour transformer la société dans le sens de la justice et de la liberté. Ce n'est pas un quelconque décret qui peut réaliser cela car :

"La liberté de l'homme n'est d'aucun gouvernement, elle est dans le cœur de l'homme libre"

(Rousseau : Du Contrat Social)

 

Conclusion de la troisième partie.

Nous ne pouvons tout attendre des institutions, et même les plus hautes instances juridiques et morales de la communauté internationale, comme ONU par exemple, ne peuvent se substituer au sens moral des citoyens. Si la liberté et l'égalité ne sont pas tempérées par la volonté d'aimer notre prochain, elle peuvent aussi bien être le prétexte de l'asservissement que du bonheur des peuples.

 

 

CONCLUSION GENERALE

 

L'égalité et la liberté, deux principes qui sont moralement valides et juridiquement nécessaires entrent en contradiction quand on essaie de les appliquer ensemble dans la vie sociale. Il est donc nécessaire de tempérer les effets de ce conflit en incitant les hommes à plus de fraternité. Là est la difficulté d'une telle harmonisation, car l'amour ne se décrète pas.

 

 

 

M. Le Guen (1993, rev. 2001-22-04)