1/ Analyse du sujet :
Ne sommes nous que des mots ? |
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Le « ne…que » indique une restriction, ce qui signifie
que d’une part il va falloir établir que nous sommes des mots, et d’autre
part, il va falloir dire pourquoi nous ne sommes pas que cela. |
La question est d’ordre ontologique : qui sommes-nous ? Qui suis-je ? Elle se pose au triple
niveau -
Psychologique (moi) -
Cognitif (pensée) -
Ethique (morale) |
C’est à la fois
« nous » (dimension collective, le genre humain) Et « je » (dimension individuelle,
le sujet) |
Des mots, c’est à
dire : d’une part les signes
institués d’une langue donnée d’autre part des discours,
des paroles |
Remarque : L’analyse d’un tel sujet impose qu’on se pose deux
questions : -
Quel sens donner à
l’expression « n’être que des mots » - du point de vue de notre moi : la conquête de notre identité personnelle passe-t-elle par des mots ? - du point de vue de notre pensée : est-elle conditionnée par la langue que nous parlons ? Peut-on réduire la pensée aux mots ? - du point de vue de notre être moral : opposition entre les mots, les intentions, et les actes. Opposition entre la lettre des mots, et leur esprit. -
Si nous ne sommes
pas que des mots, que sommes nous d’autre ? - N’y a t-il pas une part de nous-mêmes qui ne se réduit jamais à des mots ? - Suffirait-il de posséder le code linguistique (compétence) pour penser (performance) ? - N’existe-t-il pas d’autres modes d’expression du moi qui me dise plus fidèlement que les mots ? - Que penser de la découverte de soi-même par la méditation silencieuse ? - Dire que nous ne sommes « que des mots » n’est-ce pas aussi passer sous silence notre dimension corporelle ? |
Reformulation du sujet :
Notre être, dans sa
triple dimension psychologique, cognitive et éthique peut-il être réduit à des
mots ? Notre réalité tant individuelle que collective se ramène-t-elle à
des discours ?
2/
Proposition de corrigé :
Introduction :
Puis-je dire que je suis
ce langage que je parle et où ma pensée se glisse au point de trouver en lui
le système de toutes ses possibilités propres, mais qui n’existe
pourtant que dans la lourdeur de sédimentations qu’elle ne sera jamais
capable d’actualiser entièrement[1] ? En posant cette double question, Michel Foucault résume bien
le débat introduit par le sujet qui
nous est proposé : « Ne sommes nous que des mots ? » En d’autres termes, Notre être, dans sa triple dimension psychologique,
cognitive et éthique peut-il être réduit à des mots ? Notre réalité tant
individuelle que collective se ramène-t-elle à des discours ? Est-ce
seulement à travers les mots que nous devenons nous mêmes ?
Penserions-beaucoup et penserions nous bien si nous n’avions pas de
langage ? Mais, au-delà, suffit-il de disposer des mots pour penser,
suffit-il de dire pour être, ne faut-il pas aussi agir ? |
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Entrée en matière Enoncé du sujet Reformulation du sujet Plan |
Développement
Plan :
N’être « que des
mots » peut d’abord être pris dans une acception psychologique. Notre
« moi » pourrait-il apparaître sans langage et sans échanges avec
autrui ? En quoi sommes-nous redevables aux mots pour être
nous-mêmes ? Mais cela suffit-il à rendre compte de la totalité de notre
être conscient ? Initialement, l’enfant ne
distingue guère ce qu’il est pour lui-même de ce qu’il est pour les autres.
Il s’appelle lui-même par son prénom, signe qu’il n’a pas encore construit la
limite de son moi. On dira, avec Piaget, qu’il est à une phase syncrétique de
son intelligence. C’est lorsqu’il trouve le mot « je », pour se
dire, qu’il devient à la fois capable de se désigner lui-même face aux autres
qui sont maintenant des « tu » ou des « ils ». Cette
autonomie du moi se conquiert aussi par le jeu des questions sur l’attribution
(« c’est à qui ? ») dont la finalité est de préciser les
contours du domaine propre de sa subjectivité. On peut donc dire que c’est
par l’acquisition du langage, en trouvant « des mots pour se
dire », que se forme notre moi. Ceci n’est pas seulement à
envisager du point de vue de la genèse du moi, mais se vérifie tout au long
de notre vie. En effet, parler c’est se situer d’emblée sur un terrain commun
où nous pouvons à la fois reconnaître l’humanité de l’autre et où notre
humanité est reconnue. Seuls les hommes parlent et les mots sont leur patrie
commune. C’est à travers ces mots que leur pensée, originellement subjective
et particulière accède à l’universalité. C’est dans cette intersubjectivité,
dans cette relation par les mots que nous nous reconnaissons mutuellement .
Dire « je » n’est pas seulement exprimer ma subjectivité, c’est
dire, comme le souligne Sartre, en même temps tous les autres. Dans cette
mesure, le « je pense » n’est pas un mot isolé, il renvoie toujours
à un nous pensons ? Le Cogito n’est pas un mot isolé, il appelle un
« cogitamus » Cependant, il semble y avoir une
part de nous même irréductible au langage. En effet, nous sommes aussi (et
peut-être d’abord) un corps, c’est à travers lui que nous ressentons le monde,
et c’est aussi par lui que nous communiquons avec les autres. Or, ce corps
même si l’on se plait à le recouvrir de toute une sémiologie du geste, du
vêtement, de la coiffure etc. est tout de même irréductible, de part sa
dimension naturelle, à l’univers du signe. Même si nos mimiques sont apprise,
même si elles constituent un langage, mon regard et mon visage sont une
expression immédiate de mon vécu, en-deçà et au-delà des mots. D’autre part, même si Hegel ne
voit dans l’ineffable que « la pensée obscure, la
pensée à l’état de fermentation », je dois bien
reconnaître que ma subjectivité ne se laisse pas toute entière cerner par des
mots. Le monde intérieur des sentiments, des émotions, des sensations, un
univers qui n’est peut-être pas pensé clairement et distinctement, mais qui
ne laisse pas d’exister, témoigne tout autant que ma raison de mon être réel. Enfin, nous pouvons aussi
aspirer au silence. Trop de mots, trop de paroles inutiles, une pléthore qui
confine à l’absurde peuvent nous faire souhaiter revenir au silence d’une
méditation intérieure, où nous pouvons nous retrouver. Descartes « dans
son poêle[2] »,
François[3]
dans son jardin d’Assise, ou Alexandra David-Neel[4]
dans sa retraite tibétaine ; tous revendiquent de se retirer du monde
pour retrouver, qui Dieu, qui la communion avec la nature, ou simplement pour
approfondir « le douloureux secret [5]»
que chaque homme porte en lui. Les mots nuisent à la méditation, par leur
pouvoir de distraction : pour
celui qui veut cultiver son être intérieur, le bruissement des paroles vaines
est un obstacle. Si les mots sont indispensables
à la formation et à l’existence de notre moi, ils ne peuvent cependant
prétendre épuiser la totalité de ce que je suis, dire l’ipséité de mon
moi. |
1 – Notre identité, notre moi, dans leurs
rapports aux mots. 1.1 – La
formation du moi est contemporaine de l’acquisition du langage. C’est
lorsqu’il trouve le mot « je » que l’enfant quitte l’intelligence
syncrétique pour la pensée consciente. 1.2 C’est
par les mots que nous sommes reconnus comme des êtres humains par les autres.
Parler, c’est accéder à l’humanité. 1.3 Mais n’y
a-t-il pas une part de nous-même qui échappe aux mots ? 1.3.1– Le corps et les mots 1.3.2 – L’ineffable du sentiment 1.3.3 – Eloge du silence Conclusion partielle
1 |
L’homme, « ce roseau
pensant » (Pascal), est-il redevable aux mots dans l’exercice de sa
pensée ? Mais si les mots nous sont nécessaires pour penser, sont-ils
suffisants ? C’est dans le mot que nous
pensons, nous n’avons conscience de nos pensées, nous n’avons de pensées
déterminées et réelles, que lorsque
nous les différencions de notre intériorité, et que, par suite nous les
marquons d’une forme externe, mais d’une forme qui contient aussi le caractère
de l’activité interne la plus haute. C’est le son articulé, le mot, qui seul
nous offre une existence où l’interne et l’externe sont si intimement liés. (Hegel)
Par cette citation, Hegel développe l’idée que penser et parler sont une
seule et même opération mentale : il ne dit pas que c’est avec les
mots, mais que c’est dans le mot que nous pensons. Les
mots ne sont donc pas les instruments de la pensée, il font corps avec elle
et ceci pour trois raisons : Le mot détermine
la pensée, dans la mesure où il lui permet de se différencier des autres
pensées. Il lui fournit « une peau » une limite. « rien
n’est distinct avant l’apparition de la langue » dira
plus tard de Saussure : et c’est parce que le langage est une structure
de différenciation que le mot peut jouer ce rôle. Le mot objective
ma pensée, c’est dire qu’il en fait une réalité extérieure, que je puis
examiner, critiquer, transformer comme n’importe quelle entité extérieure à
moi Enfin, le mot
réalise la pensée dans la mesure où elle se confronte au risque du monde, au
risque d’être comprise, critiquée, validée ou invalidée par un monde où
coexistent d’autres pensées. Le mot lui fait quitter la particularité
subjective, où elle est à la fois un absolu de vérité et un néant de vérité,
pour l’universel objectif, puisque les mots sont compris de tous. Penserions-nous
beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas en commun avec
d’autres qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons
les nôtres ? (Kant) La pensée suppose aussi pour se développer,
que nous puissions la communiquer à d’autres. On peut même dire que cette
« publicité » de la pensée est à
l’origine des progrès réalisés, par exemple dans les sciences. L’homme, être
pensant, réalise sa nature dans des échanges d’idées, où la confrontation le
fait avancer dans la recherche de la vérité. Ce sont les mots qui sont les
vecteurs de ces progrès ; c’est
par la communication du savoir que se construisent et s’affinent les
concepts. Cependant,
les mots, condition nécessaire de la pensée, sont-ils suffisants pour
penser ? Les lourdeurs et les sédimentations dont
parlait Foucault ne risquent-elles pas d’empêcher les mots de dire les
réalités transcendantes ? Qu’en
est-il en particulier de l’expression du sacré, du sublime, à la fois de
l’extase du mystique et de l’émotion de l’esthète ? Comment des mots
aussi limités et généraux que le sont ceux de la langue ordinaire
pourraient-ils prendre en charge ces expériences, dans la mesure où elles
sont, par définition, au-delà de
notre entendement ? Certes
on pourrait toujours dire que le langage est condamné à se dépasser lui même,
dans l’expression poétique ou dans ses prolongements dans les beaux arts. Le
chant du poète oblige les mots à signifier et exprimer plus qu’ils ne veulent
dire, et son signifié est infiniment ouvert[6].
Et si les mots me manquent pour dire ma foi ou mon émotion, les vers du poète
sont là pour les dire à ma place. Mais on
ne peut pour autant dire que l’exercice de la pensée se limite à la possession
du code, à la compétence linguistique.
Descartes le signalait déjà. Parler n’est ni une question de moyens (mots) ni
une question d’organes. C’est la faculté de penser qui est première, c’est
d’elle que vient la performance linguistique, c’est
à dire la capacité à élaborer des énoncés nouveaux, non déductibles de la
connaissance du code. On raconte que la bonne d’un curé s’était mise à parler
le grec, elle qui connaissait à peine le français et ne savait ni le lire, ni
l’écrire. Mais il ne faudrait pas y voir une quelconque intervention du
Paraclet : la bonne femme était simplement douée d’une bonne mémoire, et
répétait le texte des évangiles en grec, qu’elle avait appris en entendant
son curé ressasser ce texte tous les jours. Psittacisme, simple répétition
d’un texte qu’elle ne comprenait pas, on peut dire qu’elle ne parlait pas,
elle récitait. Penser relève donc d’une faculté propre à l’homme, qui est
certes informée par la langue, mais qui ne se réduit pas à elle. Nous
pensons dans les mots, notre pensée est informée par notre langue. Mais les
mots ne sont pas toujours capables de prendre en charge la totalité de ce
qu’il y aurait à penser. Qui plus est, ce n’est pas parce que nous disposons
des mots de la langue que nous pensons. Mais si la parole est créatrice
d’énoncés nouveaux, c’est parce que la pensée est la faculté la plus
représentative de notre humanité. |
2
– L’homme en tant qu’être
pensant : quel rapport aux mots ? 2.1 – Le mot détermine et réalise la
pensée. 2.2 – Le dialogue, condition du
développement de notre pensée 2.3 – Mais les mots nous suffisent-ils
pour penser ? 2.3.1 – critique de l’ineffable 2.3.2 – ouverture du langage 2.3.3 – Compétence et performance Conclusion partielle 2 |
Mais on
oppose souvent les mots aux actes. « N’être que des mots », serait
postuler soit un Dieu, dont la parole serait synonyme de l’être (in
principio erat verbum, et verbum erat apud Deum, et Deus erat verbum[7])
soit un être velléitaire, tout en paroles et jamais en actes. Ceci
pause le problème moral de l’agir face aux mots Peut-on,
en effet, en matière de choix éthique, se contenter de postuler telle où
telle valeur, de crier bien fort la pureté de nos intentions ou l’élévation
de nos pensées ? Ce serait postuler à titre de morale un pharisianisme
de surface, une pseudo vertu qui ne s’incarnerait dans aucun acte. On ne peut
croire un homme, ni un peuple sur ce qu’il proclame de lui même, mais sur son être réel, celui que révèle son action[8] D’autre
part, Sartre souligne que le discours sur la valeur, sur le choix éthique,
est tardif, toujours a posteriori par rapport au choix
réel : le credo moral ou religieux n’est qu’une intellectualisation,
voire une justification après coup d’un choix antérieurement établi dans les
faits. Ainsi, nous dit Sartre, lorsque nous venons chercher auprès d’un tiers
un conseil sur une conduite à tenir, nous avons déjà choisi : choisir le
conseilleur, c’est choisir le conseil. Enfin, nous
ne sommes pas que les mots, car les mots sont en eux-mêmes des formes vides,
qui demanderaient à être habitées d’un sens. C’est la distinction entre
l’esprit des mots et la lettre des mots. Ainsi, dans la loi, les mots n’ont
de sens que s’il tiennent compte de l’esprit des initiateurs de la loi, sinon
elle pourrait se révéler inique, si nous l’appliquions à la lettre. De même,
la foi est vécue dans le cœur et la
raison d’un homme, non dans de vaines
psalmodies. C’est d’ailleurs ce qui fait la différence entre le Credo
d’une foi qui s’énonce dans des mots pourvu de sens et les incantations
sectaires, la répétition à l’envie de « mentra[9] »
et autres patenôtres dont le sens s’est perdu. Le risque est grand de perdre
le sel des mots, tant le formalisme nous guette. On peut donc dire que les mots
ne suffisent pas, l’homme et les valeurs dans lesquelles il croit, sont
au-delà des mots. La parole n’est rien en elle-même si elle n’est pas
vérifiée dans les faits, et si elle n’est pas habité par le sens. |
3 – Suffit-il de dire, pour être ? Nos choix moraux, religieux,
philosophiques qui s’expriment par des mots ne demandent-ils pas de se
traduire en actes pour être vraiment ? 3.1 - Peut-on prôner la vertu sans
être vertueux ? 3.2 - Le credo moral ou religieux
n’est il pas une intellectualisation tardive d’un choix déjà posé dans les
faits ? 3.3 – La lettre et l’esprit des mots Conclusion partielle
3 |
Conclusion générale:
Ainsi, nous ne sommes pas que des mots, même si l’on doit reconnaître
que nous ne pourrions être sans eux. Mais en aucun cas notre être ne peut se
réduire aux mots, et, sauf à être l’ultime, aucune parole n’est la dernière,
aucune ne peut prétendre épuiser la totalité de ce qu’il y aurait à dire.
M.
Le Guen 11/2001
[1] Michel Foucault, Les mots et les choses, 1966, p.335
[2] Descartes (1596-1650) » …le commencement de l’hiver m’arrêta en un quartier, où ne trouvant aucune conversation qui me divertît, et n’ayant par ailleurs, par bonheur, aucun soins ni passions qui me troublassent, je demeurais tout le jour enfermé seul dans un poêle, où j’avais tout le loisir de m’entretenir de mes pensées. »
[3] Saint François d’Assise (1182-1226)
[4] Alexandra David-Neel : (1868-1969) Exploratrice française et mystique très imprégnée de culture tibétaine, qu’elle contribua à faire connaître en occident.
[5] Charles Baudelaire : « La vie antérieure » :
…et dont l’unique soin était d’approfondir
le douloureux secret qui me faisait languir
[6] Paul Valéry : « mes vers ont le sens qu’on leur prête, celui que je leur donne ne s’ajuste qu’à moi et n’est opposable à personne »
[7] « au commencement était le Verbe, et le Verbe
était avec Dieu, et le Verbe était Dieu» Evangile selon
Saint Jean , I, 1
[8] « Ce ne sont pas ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur ! qui entreront dans le royaume des Cieux, mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux » Matthieu 7.15
[9] Mantra : mot sanskrit signifiant « formule sacrée »